Expérience intense au coeur de la jungle du Cambodge
L’une des choses les plus excitantes de notre projet est de se lancer des défis hors norme de temps à autres. Habituellement nous les planifions de manière réfléchie. Pour une fois, un excès de curiosité a créé de nouvelles circonstances et un challenge costaud s’est présenté à nous au milieu de la jungle du Cambodge. Voici les faits.
Arrivée au Cambodge, problèmes d’orientations ?
Munis d’une carte du pays (offerte par nos hôtes de la veille) plus ou moins bien détaillée, Brian propose d’emprunter les pistes traversant la forêt de Cardamone plutôt que de passer par les routes principales défoncées par les camions. Nous discutons un peu inquiets, étudions rapidement la carte et finissons par tous adhérer à y aller.
Morgan écrit : « Décider de se lancer sur une route qui semble aussi isolée et sans avoir étudié le cas à l’avance me semblait être un peu fou. J’étais surpris de voir à quel point Brian était confiant et motivé pour entamer cette nouvelle aventure tandis qu’Etienne et Siphay me semblaient franchement retissants. Puis, finalement, Brian a su me convaincre et, à deux, nous avons motivés les deux autres… mais à ce moment là aucun d’entre nous n’avait idée de ce qui nous attendait pour les 3 prochains jours… »
Au début la piste large nous rappelle un peu celle empruntée en Amazonie mais très vite nous nous trouvons face à un sentier étroit et escarpé. Puis, au fur et à mesure que nous avançons, le sentier devient un lit de ruisseau asséché. Il nous faut franchir des cours d’eau, porter et pousser les vélos pour monter des ‘’murs’’ de pierres, traverser des ponts constitués d’une seule branche aussi large que le pneu… puis une autre branche en parallèle pour y poser les pieds… Dans ces conditions hors normes nous sommes un peu rassurés et surtout bluffés de voir des scooters chargés de provisions emprunter ce passage.
Après 75 km nous arrivons dans un village au milieu de nulle part sans électricité ni eau courante. Nous sommes reçus par des sourires et accueillis autour d’une bonne soupe de nouilles. La nuit tombée, nous installons nos hamacs dans le ‘’commissariat’’ (fidèlement à l’écriteau, une marque du passage des français), qui ressemble plus à une grange abandonnée.
Du vélo dans la jungle, le retour
Le lendemain, dès l’aube, nous décidons de prendre la piste par dessus la montagne que nous avons repérée sur notre carte et qui est censée nous mener jusqu’à la route goudronnée direction « Kompong Speu ». La route n’est plus qu’à 20km à vol d’oiseau, de l’autre côté de la montagne d’après notre carte. Après 20km de piste, il nous est impossible de trouver l’embranchement vers l’est qui figure sur notre carte. Nous demandons notre route aux rares habitants du coin, mais ils ne comprennent pas ce que nous leur demandons à cause de notre prononciation, ne savent pas lire une carte, n’ont aucune notion des distances, ne comprennent pas notre langage des signes… Certains ne semblent même pas connaître le chemin dont nous parlons.
Après plusieurs demi-tours, quelques rivières traversées, et des tentatives vaines de communication, il semblerait que nous soyons sur la bonne direction. Nous nous fions au soleil, aux montagnes et aux quelques indications que nous avons pu déchiffrer pour nous situer sur la carte. (Nous n’avons ni GPS, ni boussole et notre carte est une carte routière basique)
Le plus nous avançons, le plus nous nous enfonçons dans la jungle. Les traces de mobylettes disparaissent petit à petit, la végétation est de plus en plus dense, nous sommes obligés de pousser nos vélos et devons parfois les porter pour franchir les arbres qui font obstacles devant nous. Des sangsues s’attaquent à nous et nous pompent notre sang… Un peu désabusés, nous sommes à un moment donné face à un mur de lianes, arbres, et végétation extrêmement dense. Il n’y a plus la moindre trace d’une quelconque existence de piste : elle a été ensevelie par la jungle. Nous faisons tout de même quelques centaines de mètre supplémentaires à une allure dérisoire puis rebroussons chemin et tentons un autre passage, mais en vain. Il faut nous rendre à l’évidence, la nuit tombe et nous n’avançons pas… il faut retourner passer la nuit dans un lieu sûr.
Siphay se remémore : « Il est encore tôt, on entame un sentier ayant l’air d’avoir été pratiqué. Nous allons vite, je ne vois plus que le dessus du vélo de Morgan qui me précède tant la végétation est dense. Je prête attention aux différentes bifurcations possibles mais nos décisions paraissent les plus logiques. Mauvaise surprise, un arbre coupe le trajet ! Des traces le contournent, nous faisons de même. Puis, encore un obstacle nous oblige à porter les vélos, mais des traces de deux roues se devinent tant bien que mal encore sur la voie. Je n’hésite pas à dire que l’on passe. À cet instant, je ne pense qu’à franchir tout ce qui se présentera. Je n’oublies pas le fait que nous n’avons pas beaucoup d’eau ni d’encas. Très, voire trop confiant, je suis déterminé à avancer. J’ai le sentiment que rien ne pourra nous empêcher d’y parvenir, pas même mes crises soudaines d’alimentation qui se font parfois ressentir. C’est alors qu’un arbre colossal me sort de mes rêves. Une machette est indispensable pour y aller avec les vélos. J’ai la sensation que cela va nous coûter beaucoup de kilomètres et ça me pèse. Mais j’écoute la raison de l’équipe. Ce passage nous aurait peut-être mis dans une situation très délicate. Encore une bonne leçon…»
Morgan explique : « Au fin fond de la jungle, à plusieurs kilomètres du village le plus proche, j’avais l’impression que Brian prenait cette aventure tellement à cœur qu’il était prêt à avancer dans des conditions que je jugeais trop risquées. Etienne et Siphay semblaient partager mon avis mais, comme moi, ne voulaient pas freiner notre avancée. Nous étions dans une jungle dense, nous ne pouvions plus voir le ciel, n’avions qu’une carte sans boussole et avancions sans même suivre des traces… Finalement, avant que nous soyons réellement perdus, nous avons tous admis qu’un retour en arrière était la voie de la raison et non celle de l’échec… »
Nous voici de retour au village du matin, après plus de 60 km dans des conditions parfois extrêmes. Nous ne voulons pas faire tout le chemin inverse pour retrouver la route et tentons de soutirer la moindre information auprès des locaux pour trouver une nouvelle voie. Mais même eux ne semblent pas connaître d’autres alternatives. La plupart ne savent pas ce qu’il y a après le prochain village. Alors que la nuit tombe, nous faisons la rencontre décisive d’un couple d’occidentaux en recherche d’aventure. Ils sont en mobylette, accompagnés de deux cambodgiens parlant anglais et sont coincés depuis une semaine dans ces montagnes. Ils nous indiquent avoir entendu parler d’une piste qui mènerait à la route, mais ils n’en sont pas vraiment sûrs. Nous notons le maximum d’informations et les remercions pour leur aide. Avec notre carte et notre modeste connaissance du terrain, nous avons pu à notre tour éclaircir leur chemin.
Retour à la normale
Après un bon repas, c’est décidé, nous tentons le pari de prendre cette piste le lendemain. A l’aube, encore une fois, après quelques galères de communication avec les cambodgiens et de petits problèmes d’orientation, nous voici à nouveau en plein milieu de la jungle. La boue, les chemins escarpés, les ponts avec une seule branche, les sangsues, les rivières sont faces à nous. L’histoire semble se répéter mais un espoir subsiste cette fois-ci, nous croisons quelques rares « fous » en mobylettes qui nous confirment la direction à suivre. Ces gars là ne voyagent jamais seuls car il y a des passages où il faut être au minimum 2 pour faire passer une mobylette… et encore c’est un exploit… 60 km plus au sud, les vélos et les corps pleins de boue, nous arrivons enfin à un village ayant l’électricité, quelques touristes et même Internet ! Ce qui au départ devait être pour nous un raccourci a été finalement une expérience exceptionnelle et intense ! Cela restera gravé à jamais dans nos mémoires et dans l’aventure Solidream.
Brian raconte : « Nous voyions que sur cette piste ça allait passer, enfin. Ma frustration de la veille s’est vite dissipée tellement nous nous sommes éclatés dans ces sentiers que même des VTTistes auraient trouvés ardus. Avec des vélos de plus de 50 kilos nous avons un peu fait les bourrins quand même ! Mais nos vélos sont des tanks, c’était vraiment génial ! Je me rappellerai toute ma vie de cet épisode inattendu dans la jungle du Cambodge ! Finalement c’est peut-être ça l’aventure à son état le plus simple : prendre une carte, choisir un itinéraire et puis go ! Celui qui cherche réellement l’aventure peut difficilement être déçu par cette méthode à mon avis »
Etienne livre son sentiment : « Une première vraie expérience de la jungle pour moi. L’environnement et l’ambiance y sont tellement géniales et un peu angoissantes que l’excitation était à son maximum. La sensation de fatigue se faisait oublier… Vraiment génial d’avoir partagé cela avec les copains.»
Nous avons appris à la suite de cet écart imprévu de notre itinéraire que cette région est l’une des moins explorées d’Asie du Sud-est. Elle englobe beaucoup d’espèces protégées, en particulier le tigre d’Indochine, la panthère nébuleuse et même des éléphants ! Nous gardons effectivement une impression d’un lieu sauvage de cet endroit si particulier, il reste de quoi explorer !
Nous avons avancé dans la benne de quelques camions pour rattraper le retard provoqué par ce crochet dans la jungle et au passage éviter des routes exécrables. Nous avons pris une pause à Kampong Cham où nous sommes hébergés par un couple franco-cambodgien, Hugues et Lisa, encore un heureux hasard des rencontres, qui nous accueillent (trop ?) bien. Nous sommes enchantés par tous ces pays où la gentillesse est tout le contraire d’un effort, vivement la suite !