Jihad, voyageur solidaire
Jihad : « En 2014 je navigue sur le web et tombe sur Solidream. Leur témoignage vidéo, photo et écrit m’inspire grandement. Puis en lisant leur livre (qu’ils m’envoient au Maroc) je découvre une nouvelle facette de l’aventure : l’amitié, la solidarité et le contact humain. De là je commande leur DVD Solidream et invite deux copains à la maison pour regarder ça ensemble. 90min plus tard, avec Adil et Mourad (par la suite nous serons 5 avec deux filles Abir et Chaimaa) nous réfléchissons comment rassembler la passion du voyage avec une action sociale et humanitaire. C’est la naissance de Human cyclearth ».
Depuis un an, le Marocain de 27 ans est devenu un adepte du voyage solidaire à vélo, apportant son aide à ceux qu’il croise sur sa route.
En août 2017, Jihad est remonté en selle, en route vers l’Atlas, accompagné de deux amis, comme lui, passionnés de vélo. Cette fois, le goût de la liberté et de la simplicité, de la vie autonome en pleine nature, n’est pas son seul moteur. “J’ai acheté une remorque de bébé que j’ai rempli de fournitures scolaires”, raconte le Marocain de 27 ans en évoquant leur premier voyage solidaire à vélo.
Durant un mois, le trio a parcouru 1200 kilomètres à travers cette région montagneuse du Maroc. “À vélo, on peut aller dans des petits villages inaccessibles en voiture, traverser des rivières et passer des coins accidentés”, poursuit Jihad qui a déjà sillonné plusieurs fois ce coin reculé du pays. Grâce à leur page Facebook, les supporters de leur projet, “Human Cyclearth”, lancé en janvier 2017, peuvent suivre quotidiennement leurs avancées.
Quand ils tombent sur une école isolée, les trois compères n’hésitent pas à donner la totalité de leur cargaison – des trousses d’école avec le nécessaire à l’intérieur, des livres, des magazines, des jouets, etc. Trois ou quatre jours de repos dans la ville la plus proche à attendre l’arrivée par la poste de nouveaux colis de dons, et les voilà repartis.
Au total, près de 650 écoliers ont bénéficié de leur initiative avant la rentrée des classes. Gonflés à bloc par la réussite de ce premier projet, ils s’attèlent, dès leur retour, au suivant.
L’été à vélo, l’hiver en caravane
En novembre 2017, ils ont ainsi sillonné durant une semaine les montagnes de Bakrit, aux environs de Timahdite, ville du Moyen Atlas. Le climat étant trop rude pour le vélo – il peut y avoir jusqu’à deux mètres de neige en hiver – ils ont opté pour une caravane, elle aussi solidaire, chargée de quatre tonnes de vêtements chauds et de médicaments.
Deux animateurs et quatre médecins les accompagnent. Grâce à leur venue, Youssef, quatre ans, a pu être opéré d’une hernie digestive dans la ville d’Ifrane, à une cinquantaine de kilomètres. “Aujourd’hui, il va bien”, raconte Jihad qui a eu de ses nouvelles par téléphone. Infatigable, ce dernier évoque déjà l’envie de revenir construire une bibliothèque pour les 300 internes du collège de la ville où il a logé, avec toute l’équipe, durant leur séjour.
D’informaticien à “néo-paysan”
Formateur en informatique de métier, Jihad a tout plaqué au début de l’année dernière. À cette époque, il vivait à une vingtaine de kilomètres de Rabat, la capitale et, un ou deux mois par an depuis 2013, enfourchait son vélo pour des voyages de longue distance à travers le Maroc. “Quand je suis dans la nature, je suis libre”, lâche Jihad pour qui, continuer à mener cette vie en ville était devenu contradictoire.
Désormais, il passe le plus clair de son temps à la campagne, dans la petite ferme, dotée d’un hectare de terrain, que ses parents ont achetée dans le village de Khemis Ait Ouahi, entre Tiflet et Khemisset, dans la région du Moyen Atlas. “Un hectare c’est pas grand, mais tout dépend de la méthode que l’on utilise”, renchérit Jihad, convaincu des bienfaits de la permaculture et de l’agriculture paysanne.
Lors d’un voyage à vélo dans l’Atlas en 2015, il avait été frappé par l’efficacité des techniques agricoles traditionnelles. “J’étais sur le col quand j’ai vu un petit bout de vert dans un coin désertique”, se souvient-il. En contrebas, un jeune paysan faisait pousser des fruits et des légumes en abondance, il disposait de chèvres, de brebis, de poules pondeuses, etc. “Il a tout ce qu’il veut !”, insiste le jeune homme avec enthousiasme, séduit par ce mode de vie autonome.
Une banque de semences paysanne
En “néo-paysan”, tel qu’il se définit, Jihad s’affaire depuis quelques semaines dans la serre qu’il a construit. La première récolte est attendue fin mai, la seconde fin août. Grâce au soutien de deux associations françaises, Solidarité Permaculture et Kokopelli, il va recevoir une semaine de formation et dispose d’ores et déjà de plusieurs milliers de graines – une trentaine d’espèces de tomates, une dizaine d’aubergines, de poivrons, etc.
À terme, il souhaite les utiliser pour constituer une banque de semences paysannes. Ces graines sont par nature, reproductibles et leur culture ne requiert pas l’usage d’engrais et de pesticides contrairement aux semences industrielles, utilisées par les agriculteurs locaux. “Ça leur revient beaucoup plus cher, ça stérilise les sols, pollue les nappes phréatiques, nuit à la biodiversité”, explique Jihad, soucieux de les convaincre de changer de méthode. “J’ai parlé à beaucoup de paysans, ils veulent voir les résultats de mes travaux”, explique-t-il, ajoutant : “J’ai besoin de leur donner la preuve que ça marche”. S’il vit actuellement sur ses économies, Jihad espère vivre à terme de l’agriculture. Dans un coin de sa tête, trotte déjà l’idée d’un prochain voyage solidaire à vélo, la remorque chargée de graines.
Vous pouvez retrouver Jihad et son collectif Human Cyclearth ici
Portrait proposé par la journaliste Natacha Gorwitz.