Quelques pensées utiles avant d’écrire un livre de voyage
Cet article sera bientôt publié dans un numéro du magazine génial Carnets d’aventures.
Je ne sais plus qui a dit : “si vous voulez écrire, soyez sûr d’avoir quelque chose à raconter”. C’est d’une évidence crasse, mais ça va mieux en le disant. En d’autres termes : quel est le point unique de votre histoire qui donnera envie de la lire ? Et de continuer à lire ? Va-t-on découvrir pour la douzième fois que “les paysages sont magnifiques” et qu’à la fin d’une journée de vélo vous êtes “exténués comme jamais dans votre vie” ? Non, en tout cas ce n’est pas ce que le lecteur attend de votre récit. Votre parcours doit l’interpeller et votre vision du monde également.
Pour ce faire, les carnets de voyage constituent un matériau dans lequel, tel un mineur, on peut extraire les événement marquants et les réflexions brillantes (ou pas) pour élaborer une narration captivante. Des futilités notées en cours de route peuvent déclencher une cascade d’événements gardés en mémoire qui seront autant d’histoires potentiellement croustillantes. Avant d’écrire, un tableau récapitulatif des faits et des réflexions à glisser chapitre par chapitre est un bon outil pour structurer son récit, surtout pour un premier projet. Cela permet d’identifier les redites et d’élaguer plus facilement sa première version, bien souvent trop longue. Mieux vaut bien expliquer un épisode phare que vouloir tout survoler.
Par contre, espérer publier des carnets de note bruts est une douce folie : quasiment personne n’écrit bien du premier jet, et les éditeurs le repèrent instantanément. Parlons d’eux, justement : ils ne sont pas impressionnables et n’ont que faire de vos faits les plus épiques. Ils exigent de la littérature et n’hésiteront pas à rembarrer sans chichis les textes prétentieux et pleins de fautes d’orthographe. Je connais l’histoire de quelqu’un qui, par excès d’orgueil, a refusé de publier chez l’éditeur renommé Actes Sud car on lui demandait – évidemment – de reprendre tel ou tel aspect de son texte. Écrire pour publier est un engagement, parfois plus grand que celui de l’aventure elle-même : cela demande un travail considérable (quelques mois à plusieurs années selon votre exigence et expérience). Nicolas Bouvier a pris 10 ans pour écrire l’ouvrage référence L’Usage du monde. Un conseil : lisez-le avant d’écrire.
D’autres maisons d’édition verront un potentiel commercial et vous proposeront peut-être une plume de substitution pour pallier le manque d’expérience, de temps ou de volonté. Pourquoi pas, après tout. Côté financier, la norme pour les droits d’auteur débutant est de 8% du prix de vente, autant dire qu’en vivre est extrêmement difficile.
Sinon, écrire pour soi, sans prétention, afin de réunir des souvenirs dans un objet propre et ordonné, constitue une solution sans pression éditoriale. Et si l’on veut publier quand même, l’auto-édition présente l’avantage de la liberté totale en plus de capter tous les bénéfices – l’apport substantiel d’un regard extérieur et le réseau de distribution en moins. Réfléchissez bien avant d’imprimer 1000 livres en auto-édition ! Dans cette catégorie, les livres photo fleurissent : plus faciles à réaliser, ils sont néanmoins plus difficiles à vendre et bien plus chers à l’impression. Une solution hybride est la co-édition. Certains éditeurs y sont ouverts, mais il vous faudra arriver avec de bons arguments financiers (pré-commandes, promesses d’achats etc..) pour peser dans la négociation des bénéfices.
Finissons tout de même sur une note positive : écrire est une aventure extraordinaire qui permet de mûrir son voyage et d’en tirer la substantifique moelle pour s’élever, et c’est bien pour ça qu’on voyage, non ?
Article rédigé par Brian Mathé