Le contre-la-montre turkmène
Le Kazakhstan nous a introduit en Asie Centrale, le Kirghizstan ouvert ses chemins les plus sauvages, le Tadjikistan fait vibrer au rythme de Douchanbé, l’Ouzbékistan invité à progresser et à nous soigner… Le Turkménistan a l’intention de jouer avec nos nerfs, de nous mettre sous pression et de voir comment notre équipe va relever ce nouveau défi psychologique : parcourir 1500 km jusque Turkmenbashi et monter dans un bateau pour traverser la mer Caspienne jusqu’en Azerbaïdjan. Le tout en 5 jours maximum, durée de nos visas de transit…
Heureusement, il y a des iraniens !
Le 9 juin nous sommes de nouveau tous les 3 réunis pour traverser cette frontière. C’est laborieux, long, désorganisé et strict. Les oiseaux font leurs nids au dessus des bureaux, les femmes voilées s’impatientent dans la chaleur du bâtiment non climatisé et les douaniers feraient semblant de travailler que nous ne verrions pas la différence. Les turkmènes passent toutes nos affaires aux rayons X et nous font allumer nos ordinateurs pour voir nos films et photos. Non, non, pas pour regarder nos images de voyage mais parce qu’ils cherchent autre chose… Un des officiers, une femme fatiguée de chercher dans nos ordinateurs, nous demande finalement :
– Avez vous des images pornographiques ?
– Non
– Vous pouvez éteindre votre ordinateur, merci.
Après 3h dans les formalités douanières nous roulons 30km pour rejoindre la première grande ville : Türkmenabat. Il ne nous faut pas longtemps pour comprendre que nous pouvons faire une croix sur le train. Plus de place avant 4 ou 5 jours… Ajoutez à cela que nous ne pouvons pas retirer d’argent dans cette ville et que nous devons garder nos dollars pour payer le bateau…
La décision est rapidement prise et nous partons vers la sortie de la ville pour embarquer dans des camions jusqu’à la capitale Ashgabat, 600 km au sud-ouest, où les banques devraient accepter nos CB. De là nous pensons pouvoir monter dans un train plus facilement. C’est finalement un convoi de 5 camions iraniens qui s’arrête lorsqu’ils voient 3 mecs en train de se dessécher au bord de la route. Chacun dans son camion nous en apprenons un peu plus sur l’Iran et ses habitants. Décidément il va falloir y aller un jour !
Quelques heures en Iran
Nous roulons des heures sur une route fracassée. Un champ de mine où les explosifs auraient déjà tous sauté. Pendant des kilomètres il n’y a strictement rien à voir.
Morgan s’adressant à Sadir : « Il n’y a pas grand chose dans ce pays »
Sadir, en anglais : « Il n’y a qu’une chose d’intéressante au Turkménistan mon ami, ce sont les femmes »
Sans rentrer dans un débat de fond ni faire trop de généralisation, nous sommes obligés de constater que plus nous voyageons dans des pays où les femmes sont « cachées » et plus les hommes sont omnibulés par celles qui habitent leurs fantasmes plutôt que de partager leur quotidien. Il serait intéressant de voyager en Afghanistan et de pouvoir parler avec ceux qui y vivent. Car Sadir nous explique qu’en Iran c’est quand même « cool ». Les femmes peuvent montrer leur visage dit-il avant d’ajouter qu’en Afghanistan c’est tout juste si on peut voir leurs yeux…
Vers 22h30 ils garent les camions sur un parking improvisé, posent un tapis au sol et préparent du thé tandis que la popote est déjà en route. Nous bivouaquons avec nos 5 nouveaux amis, mangeons dans le même plat et partageons le même gobelet. Il y deux petites couchettes dans chacun des camions, comme des lits superposés, à l’arrière des sièges conducteur et passager. Nous sommes invités à dormir dans les camions et reprendre la route avec eux le lendemain matin vers 6h.
Brian donne son sentiment : « Nous avons perdu une demi journée à la frontière avec tous les contrôles des deux côtés, nous n’avons aucune info fiable concernant le train, personne ne parle anglais et c’est littéralement la baston au guichet pour parler à quelqu’un. Donc nous avons la pression et l’ambiance est stressante. Je tente une prise de recul sur le moment : nous sommes dans le désert du Turkménistan en train de partager un repas avec une bande de camionneurs iraniens sympas comme tout ! Ces types, débarqués de nulle part et nous offrant l’hospitalité entre deux routes turkmènes défoncées, ça me fait réfléchir : dans toutes mésaventure se cache un événement heureux. Le voyage m’aura appris cette patience à entrevoir la providence, qui en perdrait d’ailleurs sa saveur si elle n’était pas précédée d’une difficulté. »
Un pays fermé, une capitale sans âme
Il nous reste 4 jours avant expiration de notre visa et nous avons fait un total de 300 km en camion et 50 km en vélo. Nos camionneurs nous laissent au milieu du désert. Ils vont vers l’Iran et nous devons continuer vers l’ouest. Il n’y a rien ici.
Nous attendons, faisons signe aux poids lourds, avançons un peu en vélo, attendons, avançons, attendons… Les turkmènes ne sont pas décidés à nous aider et c’est finalement un camion ouzbek qui s’arrête. Il n’a pas assez de place pour nous prendre mais nous conseille d’aller voir la police au prochain point de contrôle (il y en a partout) pour expliquer notre cas. Nous n’aimons pas traiter avec les autorités mais tentons cette option, un peu démoralisés par les heures immobiles sous le soleil de plomb. Le verdict est clair et rapide. Après avoir regardé nos passeports sous toutes les coutures il nous disent de dégager fissa !
Pas facile de garder le moral quand on se retrouve dans cet environnement hostile, sous la pression du compte à rebours, avec très peu d’argent et des gars en costume à épaulettes qui vous méprisent. Mais heureusement la patience paye et nous trouvons une camionnette qui nous embarque. 250 km dans l’illégalité et où nous devons nous planquer à chaque barrage de police. A l’avant de la camionnette nous partageons 2 places à 3 et ici la police ne rigole pas.
Il est 15h lorsque nous arrivons à Ashgabat (pour mieux comprendre ce qu’est cette ville regardez ça ) et nous nous précipitons à la gare pour attraper le premier train. Brian réussi à acheter 3 tickets pour Turkmenbashi, départ 19h ! Siphay et Morgan ont moins de réussite. Ils font tout le tour de la ville, des banques et des hôtels sans réussir à retirer des dollars. Heureusement que le train nous coûte qu’environ 2,5 €/pers…
Morgan : « Je suis assis sur les marches d’un escalier, en face de la gare, en train de manger un morceau de pain. Un flic me gueule dessus en pointant du doigt un petit bout de pain au sol, pas loin de mon vélo. Je fais mine de ne rien comprendre. Puis dans un anglais incertain il me dit de ramasser mon déchet. Par automatisme, il me semble, je l’écoute et m’exécute. Tandis que je me baisse je me demande si je lui balance à la gueule ou si je me rassois calmement… Je choisi finalement le mépris, comme son collègue plutôt dans la journée, et garde le morceau de pain dans la main. Je retourne m’asseoir sans même le regarder, j’essaie de le rendre inexistant. J’agis comme si j’étais allé chercher ce petit bout de pain de ma propre volonté… mais lorsqu’il se retourne et s’en va je ne peux m’empêcher de lui jeter mon mépris au pied. Je ne l’ai pas touché et ses collègues ne m’ont pas vu mais mon « déchet » est retourné à sa place. Je n’aime pas l’ambiance qui règne ici et j’ai hâte de quitter le pays. »
L’attente
14h de train plus loin nous débarquons à Turkmenbashi à 9h du matin le 12 juin. Notre visa expire le 14 au soir. Les minutes sont comptées et nous ne voulons laisser aucune chance au hasard. Ni une, ni deux, nous partons au port le ventre vide pour nous renseigner sur les traversées jusqu’en Azerbaïdjan. Un couple d’allemands attend déjà depuis plus de 24h et ils ont toutes les informations pour nous. Ils voyageaient avec un guide et savent beaucoup plus de choses que nous sur comment, où et quand… le « pourquoi ? » par contre restera souvent sans réponse au Turkménistan. Il est obligatoire d’avoir un guide pour voyager dans ce pays sauf si, comme nous, vous êtes en « transit »…
Nous allons donc faire inscrire nos noms sur la liste d’attente. Personne ne sait quand est-ce que partira le prochain bateau mais nous sommes rassurés car il semble y avoir des départs au moins tous les 2 jours. Notre principal soucis à ce moment là est financier car nous n’avons toujours pas pu retirer de dollars et nous connaissons à présent le prix de la traversée : $100/pers, soit $300 pour l’équipe. Et nous avons au total $295… Nous pensons bien pouvoir nous arranger pour $5 mais le problème est que nous ne savons pas si d’autres frais vont venir s’ajouter à la liste. Vont-ils nous demander de l’argent pour quitter le pays ? A notre arrivée à Bakou, vont-ils nous demander de payer quelque chose sorti de derrière les fagots ? C’est difficile d’anticiper ces frais et nous choisissons de ne plus rien dépenser jusqu’au départ. Nous mangeons du pain, buvons de l’eau.
Les gens son installés sur les bancs, préparent et boivent leur thé, dorment, passent des coups de téléphone. Nous sommes assis par terre en face, les regardons, lisons et dormons.
24h plus tard ils laissent embarquer 32 personnes dont les 2 allemands. Malheureusement pour nous nous sommes les numéros 34, 35 et 36. Nous attendons le prochain convoi… Quelques heures plus tard Morgan voit un attroupement dans un guichet du bâtiment d’à côté. Curieux il va voir ce qui s’y passe. Il faut en fait comprendre qu’il y a un nouveau bateau qui va partir et que la pauvre femme essaie de vendre ses tickets en respectant, tant que faire se peut, l’ordre de la liste. Les gens poussent, les femmes s’engueulent, l’une montre sa petite fille dans ses bras pour apitoyer la guichetière tandis que l’autre fond en larme. Nous restons calmes, un peu en retraits et assistons au spectacle du désespoir. Pour nous c’est exceptionnel, pour eux c’est le quotidien. Contrairement à ces femmes, nous avons choisi d’être là et ne pouvons pas nous plaindre.
Après plus de 30h nous avons la chance d’embarquer sur l’énorme bateau qui nous ouvre les portes de l’Europe. Les $295 ont suffit et les azéris (habitant d’Azerbaïdjan) nous font le plaisir de nous éloigner d’un pays où nous ne nous sentions certainement pas les bienvenus.
Siphay explique : « Tout au lond de notre séjour turkmen, les gars rallaient un peu trop à mon goût sur le mauvais accueil du pays. La tête dans la lune et voyant trop en rose parfois, je trouvais sincèrement qu’ils abusaient et cherchais à évoquer les bons échanges avec les habitants. Car jusqu’à aujourd’hui nous avons toujours constaté qu’il y a des bonnes personnes partout. Mais avec le recul, je peux mieux comparer avec les autres nations visitées. Non, ce n’était pas notre stresse ou quelconque frustration dû au manque de temps qui nous a fait voir le pays du mauvais oeil. J’étais naïf sur le coup, le Turkmenistan a un réel problème, en plus de n’être fermé au tourisme l’ambiance y est lourde et oppressante. Je ne conseillerai à personne d’y passer des vacances pour les années à suivre et je n’ai pas été surpris de lire ensuite que c’est une dictature… »