Après avoir atterri à Nassau, une ville capitale avec peu d'intérêts (sauf si vous aimez les gros yachts rutilants qui polluent comme 10), nous décidons d'aller mouiller Ocean Respect aux abords d'une île, dernier rempart avant la pleine mer et environ 3 semaines de traversée sur l'Atlantique jusqu'aux Açores.
L'attente, c'est ce moment avant une transatlantique où il faut trouver une occupation plaisante en attendant la bonne fenêtre météo. Ocean Respect est mouillé à Royal Island, aux Bahamas. 5 jours pendant lesquels nous nous occupons à la chasse sous-marine, à explorer les riches fonds bahamiens, à vadrouiller sur l'île ensauvagée après que le resort d'une star du football américain a été abandonné faute de financements suffisants, ou bien encore à la lecture. C'est fou ce qu'on peut voyager en restant sur place !
Qui est le capitaine du navire ? Daniel Gazanion, 71 ans, un gaillard toujours bien bâti. Le voir se faufiler sur le pont de son voilier (et en haut du mât) vous laisse penser que le concept d’”âge mûr” est encore une belle connerie inventée par l’homme. Malgré ses 2 doigts coupés lors d’une course de side-car quand il était jeune, il vous prend l’écoute des mains si vous n’êtes pas assez rapide lors d’une manoeuvre ! Il est grand-père, mais après avoir navigué des années au sextant il sait se réjouir des outils modernes pour lire la météo, tracer son cap et communiquer via les liaisons satellites.
Le premier soir en mer, c'est l'appréhension des jeunes marins que nous sommes. Eux, Daniel et Bilou, c'est leur énième traversée d'océan. Brian n'a jamais vécu de grande traversée, loin de toute terre à fouler et contraint à l'étroitesse d'une embarcation de 13m. La dernière fois pour Morgan, c'est quand il avait 8 ans ! A vrai dire, nous ne savons pas (ou plus) trop dans quoi nous nous embarquons !
Ils ont grandi pas loin l’un de l’autre près de Montélimar, ils ont pratiqué les sports mécaniques ensemble, ont fait le tour du monde à la voile, ont hiverné dans les glaces de l'Antarctique et ont mené commerce ensemble. Et alors ? L’amitié n’a pas de fin. Jusqu’au bout, ces deux-là trouveront le moindre prétexte pour une nouvelle aventure. Aujourd’hui, ils remontent une dorade corifène de 15 kg. Elle occupera nos repas pendant quelques jours.
Tout marin hauturier connaît sûrement le concept de demi-sommeil : celui qui consiste à s’endormir tout en gardant l’oreille tendue sur les bruits anormaux : un claquement de voile inhabituel, une vague plus haute que les autres, un orage lointain… C’est l’état de sommeil qui habite l’équipage pendant ces 3 semaines.
La navigation hauturière est une expérience que l’on peut comparer à l’itinérance en montagne. Si les conditions sont bonnes, les voyants au vert, alors les moments de contemplation, de méditation, d’introspection nourrissent l’esprit du voyageur. Puis, un vent frais soudain ou des nuages chargés de pluie, peuvent transformer des heures de sérénité en combat furieux pour la vie.
L’équipage prend toujours plaisir à la manoeuvre. Le vent change pour être un peu plus portant ? Ni une ni deux, 2 ou 3 marins sortent sur le pont pour mettre en place le tangon. Il permet d’optimiser la puissance d’une voile lorsque le vent tend à venir plus de l’arrière. Autant de manoeuvres répétées qui forment les apprentis-marins que nous sommes. Quand l’arc-en-ciel s’en mêle, le plaisir se transforme en joie profonde d’apprendre.
Il est 4h (?) du matin lorsque Daniel crie “la grand-voile est déchirée !”. Après plus de 10 ans à sillonner les mers, Ocean Respect manifeste quelques signes de fatigue. Pour l’équipage, nuit noire ou pleine journée, il n’y a pas d’alternative : il faut agir ! La voile est rapidement affalée. Une moitié reste dehors sur le pont, sécurisée contre les vents et rincée par une fine pluie, tandis que la partie à recoudre est tirée en force dans le carré du bateau. Dans notre malheur, nous sommes chanceux : la voile n’est pas déchirée mais décousue. Ce sera plus facile à réparer. Il faudra tout de même 2h à Claude pour faire une première ligne de couture d’environ 2,5 m. Puis, une accalmie nous autorise à sortir dans le cockpit où le père et le fils s’affairent pendant 5h non-stop à coudre deux lignes supplémentaires. La réparation va-t-elle tenir pendant les 10 prochains jours de mer ?
Quand on vous dit que Daniel ne veut pas vieillir, en voici la démonstration. Après une drisse de spi rompue, il faut monter en haut du mât pour bricoler. Notre septuagénaire de capitaine s’empresse d’enfiler son baudrier et d’aller tâter du tournevis à 17 m de haut malgré une houle significative. Brinquebalé aussi bien à la montée qu’à la descente, il est aussi le premier à réclamer l’apéro le soir venu !
Nouvelle séance de couture sur la grand-voile en réponse à un des pires ennemis du marin : le ragage. Phénomène qui traduit les frottements réguliers qui sévissent sur un bateau entre les drisses, écoutes, haubans, voiles etc. À la longue, le ragage finit toujours par gagner. Il use, rompt et/ou déchire le gréement.
La physalia physalis, de nom commun galère portugaise ou physalie, ou bien encore vessie de mer, n’est pas une méduse mais une espèce de siphonophore marin, c’est-à-dire un groupe d’animaux de la même espèce rassemblés selon cette forme particulière. Nous avons pu l’observer pendant près de 2 semaines et que des millions d’individus peuplent l'océan Atlantique à sa surface. Sa venimosité nous a dissuadés de quelques bains de pleine mer...
Nous admettrons qu’il y a deux façons de traverser l’Atlantique : d’est en ouest ou d’ouest en est. De l’Europe vers les Amériques, les marins empruntent généralement la route des alizées. Généralement, les vents sont favorables, réguliers et chauds. Mais dans l’autre sens, c’est une autre histoire ! Les conditions météo sont très changeantes et généralement l’équipage s’affaire aux manoeuvres plusieurs fois par jour : réduire le génois, changer de cap, sortir le spi, prendre un ris, sortir la trinquette etc.
Au milieu de l’océan nous pouvons recevoir les prévisions météos (appelées GRIB). Avec ces précieuses informations nous choisissons le cap à tenir pour favoriser une bonne avancé mais surtout pour éviter les “grains”. Si les 2 premières semaines les prévisions sont fiables, à l’approche des Açores c’est n’importe quoi ! Après quelques éclairs, plus de 35 noeuds de vents seront servis en dessert de cette traversée de 21 jours.
Après 3 semaines sans voir la terre, les Açores se présentent d’abord visuellement. Mais bientôt, c’est l’odeur d’une terre humide qui embaume l’atmosphère. Il faut croire qu’après l’isolement du grand large, loin de tout minéral terrestre, l’humain est prêt à accueillir l’humus de la vie à pleines narines ! Une surprise olfactive à laquelle nous ne nous attendions pas et qui met en verve nos sens, hâtifs de regoûter à la terre ferme.
L’archipel des Açores trouve son origine de l’activité volcanique qui existe en ce lieu (connu aussi sous le nom de point chaud des Açores). Le duo d’îlots des Cabras était, comme son nom l’indique, utilisé par les bergers de l’île de Terceira, lors du peuplement des Açores. Terceira est le point d’arrivée de cette transatlantique, et la géologie n’a jamais eu autant d’intérêt qu’après 2700 miles.
Enfant, Claude ne vit que pour la moto. Passionné compulsif, il s’échappe régulièrement de l’école pour aller courir des courses motos amateurs. En 1983, avec Alain Michel, il sera champion de France de side-car et 4eme au championnat du monde. Jeune adulte, il s'apprête à traverser l’Afrique à vélo lorsque Daniel, inspiré par les récits d’explorateurs, lui suggère de voyager en bateau. Ensemble, avec Michel et Bruno, ils formeront le solide équipage du Kim. 5 ans autour du monde et un hivernage en Antarctique feront d’eux des hommes heureux ! Après quelques années en France il repart avec sa femme Sylvie et ses deux enfants, Virginie et Morgan, pour un voyage de 7 ans à la voile. Son parcours semble dire : “Il faut oser rêver grand, puis il faut oser transformer le rêve en réalité”. C’est sans aucun doute Claude, et aussi ses acolytes du Kim, qui ont inspiré Solidream à vivre le rêve.
Depuis 2010 Claude et Daniel ont partagé de beaux projets avec le collectif Solidream : voyage de 40 jours en Antarctique, 3 semaines de navigation en Méditerranée et une transatlantique. L’aventure continue !