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Déroutés à la frontière tadjik | Solidream - Rêves, Défis et Partage - Récits, films documentaires d'aventure
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Dans le taxi pour la frontière tadjik

Déroutés à la frontière tadjik

Revenus au bitume du Kirghizstan, nos difficultés sont enfin terminées. Nous savons que la route ne sera pas facile à appréhender avec encore beaucoup de haute montagne pour rejoindre le Tadjikistan. Mais plus que les sommets, ce sont cette fois-ci les lois des hommes qui nous clouent la roue au sol.

Ces routes dont nous n’avons pas envie

Ascesion à 3620m d'altitude

Ascension à 3620m d’altitude

La route, c’est notre « Home, sweet home » depuis bientôt 3 ans. Les rivières comme baignoire avec parfois même les graviers pour frotter. Et quelquefois chez soi on suffoque : la maison n’est plus notre cocon favori et on ne la désire plus comme refuge. La seule chose dont on a envie c’est d’aller jouer dehors. Pour nous, ce sont les pots d’échappement qui nous font suffoquer et le trafic serait l’équivalent d’un mauvais dimanche où l’on se demande qu’est-ce qu’on fait à rester planté là. Et l’avantage du voyage, c’est qu’on peut accélérer les choses quand on le souhaite. Donc, après notre épopée dans les montagnes, nous avançons dans le temps et grimpons dans un camion pour rejoindre des routes plus tranquilles et rejoindre la ville de Osh.

Après nous être réveillés à l’orée d’un champ en dehors de la ville, nous commençons notre grimpette tranquillement vers notre premier col à 2339 m. Il nous reste 320 km avant le Tadjikistan. Seuls quelques camions nous saluent et prennent la peine de s’écarter pour nous laisser rouler côte à côte. L’effort semble moins dur quand nous roulons vraiment ensemble à papoter, comme si l’enthousiasme d’une conversation intéressante entre potes entraînait en même temps les maillons de nos chaînes. Ah, le bien-être d’une camaraderie dans les campagnes du bout du monde !

Vive le vent

Bien aidés par un vent de dos, un peu moins par un nombre de crevaisons hallucinant depuis le Kazakhstan, nous rattrapons un couple de belges à vélo, Thomas et Lydie, qui se dirigent aussi vers le Tadjikistan. Eux partent vers la magnifique route du Pamir au sud alors que nous partons vers l’ouest, le chemin le plus court vers Doushanbé, la capitale tadjik. Malheureusement, nous n’avons pas le temps de rouler les 1000 km supplémentaires pour y aller nous-même. Tant mieux, une bonne raison de revenir dans la région ! Ce soir-là nous décidons de camper ensemble dans la vallée entre les deux cols. Après dîner, nous nous posons sous le ciel étoilé alors que Thomas nous fait la surprise de sortir une bouteille de vodka qu’il réserve « pour les grandes occasions », nous dit-il. Dans un campement parfait près de la rivière, c’est dans la coutume locale que nous partons nous coucher, c’est-à-dire le sourire bien étiré par les grammes d’alcool…

Portrait d'un homme au Kirghizstan

Portrait d’un homme au Kirghizstan

Nous détestons la pluie à vélo, mais le vent dans le dos a forcé. Et nous partons ce matin vite avant qu’une averse trop grosse nous renvoie dans la tente avec nos bouquins à attendre l’accalmie. Tout le long de la montée, le temps est menaçant devant et derrière nous mais nous roulons au sec. Les dieux sont avec nous. La gravité, elle, joue aussi bien son rôle et nous grillons des calories à un bon rythme. En milieu d’après-midi, il fait déjà bien frais à près de 3000 m d’altitude et nous nous décidons à aller au bout. La fin de l’ascension est rude : nous ne voyons pas le bout des lacets, le vent a faibli, et la pente est bien raide. Au-dessus du niveau de la neige, le froid vient ajouter une dernière difficulté à cette longue journée. Quelques minutes plus tard, nous observons le serpent que semble former la route vue depuis le sommet à 3620 m d’altitude. Malgré le vent et la température juste au-dessus de zéro qui continue à descendre avec le soleil, nous restons plantés là une vingtaine de minutes.

Brian donne sa sensation : « Pour moi c’était un moment d’émotion. Arriver en haut d’une montagne est toujours un moment de grande satisfaction et je ne peux pas m’empêcher de penser que cela se termine bientôt, dans 3 mois. Ça en amplifie la saveur, grave le souvenir un peu plus profond : ces moments de discussion dans l’ascension, cette synergie de groupe qui pousse nos bécanes vers le haut, admirer la vue, regarder l’ombre des nuages bouger sur la neige des cimes, gueuler des âneries, faire le pitre devant l’appareil photo, regarder la route et penser ‘c’est tout ce que t’as dans le ventre ?!’,  remplir ma bouteille d’eau à la source d’eau pure, avoir froid aux pieds car j’ai marché dans la neige mouillée pour y aller et sentir le vent attiser la froidure comme l’oxygène attise le feu.« 

Siphay dans la descente vers le Tadjikistan

Siphay dans la descente vers le Tadjikistan

Gangnam style

Nous passons la nuit à environ 3100 m près de Sary-Tash après s’être bien réchauffés dans un petit resto et dégusté une cuisse de poulet avec petits légumes après les 2350 m de dénivelé positif effectués ce jour. Nous nous endormons sous un ciel scintillant que la clarté d’une telle altitude nous rend d’autant plus magique. Le croissant de lune éclaire les Tian Shan qui forment la frontière naturelle avec le Tadjikistan. Nous devons encore descendre une longue vallée avant de pouvoir passer la frontière. Le lendemain, nous admirons le pic Lénine qui culmine à 7134 m. La journée est assez pénible avec un fort vent de face qui remonte l’air chaud de la vallée vers les hauteurs. On ne peut pas gagner à tous les coups… Ajoutez à ça un Siphay fiévreux, un début de tendinite au genou pour Brian et quelques crevaisons, notre longue descente vers le paradis tadjik prend des allures de descente aux enfers, malgré le décor magnifique.

Nous nous arrêtons à 30 km de la frontière seulement, espérant de meilleures conditions le lendemain. Dans la petite guinguette où nous faisons halte, un groupe de femmes, un peu âgées pour certaines, semble célébrer une occasion avec un repas copieux. Nous restons à notre table, un peu timides. Quelques minutes suffisent et les voilà qui viennent partager avec nous les restes de leurs plats, du pain et des cerises confites. Puis ces dames aux sourires pétillants mettent en marche la sono et nous invitent à danser ! Un peu exténués de notre journée, nous hésitons, puis finalement nous laissons prendre au jeu. Et nous voilà, la mine un peu fatiguée, à danser Gangnam style dans le fin fond du Kirghizstan ! Une trentaine de minutes à rigoler et à échanger puis ces femmes s’en vont dans leurs voiles et tenues traditionnelles.

Compagnie kirghize pour danser

Compagnie kirghize pour danser

Dix minutes après nous remettons ça avec une groupe de jeunes ! Puis, pour couronner cette soirée exceptionnelle, le gérant du restaurant nous invite à dormir avec lui, sa femme et ses enfants. Dans l’unique chambre de leur maison. Il est difficile de ne pas comprendre le plaisir que ces gens ont à nous inviter et nous acceptons leur offre avec le sourire. Encore un épisode de convivialité et d’hospitalité dans ce pays qui ne nous laissera pas de marbre !

 

Repassez par la case départ…

Le Kirghizstan ne veut pas nous laisser partir. Déjà nous devions passer la frontière le jour précédent, ce matin une tempête fait rage. Nous attendons quelques heures qu’elle passe. Durant l’accalmie, nous décollons mais nous voyons une grosse pluie arriver de nouveau. Nous partons trouver refuge dans le village suivant où nous sommes invités à une partie de volley-ball par des jeunes kirghizes. Enfin, nous décidons de rouler malgré encore quelques gouttes jusqu’à voir une barrière en travers de la route et un militaire qui nous appelle au loin :

– Atkou da ? (Vous êtes d’où ?)
– Franssouz.
(Il nous dit quelque chose et le seul truc que nous comprenons est Niet franssouz !)

Finalement, grâce à l’un d’eux qui parle un peu d’anglais, nous comprenons que cette frontière est fermée aux étrangers. Nous nous étions pourtant bien renseignés au consulat du Tadjikistan à Almaty, la personne nous avait assuré que ça passait. En fait, il s’avère que ça passe côté tadjik mais ça ne passe pas côté kirghize ! Un non-sens complet que les tadjiks ne précisent à personne… Malgré nos tentatives de négociations, il n’y a pas d’autre choix que de repartir vers Osh pour rentrer par un autre poste frontière à Isfara, situé à  600 km d’ici environ ! Hors de question pour nous de tout refaire à vélo ! Aussi nous avons pensé traverser illégalement par les montagnes mais le terrain est très difficile et nous avons quelques handicaps : peu de nourriture, Siphay et Brian affaiblis par la fièvre et une tendinite ainsi qu’une prise de risque peut-être inutile… Nous restons sages et filons en stop.

Siphay raconte : « Personnellement, je suis chaud pour passer furtivement ! Au même moment, Morgan s’exclame que nous pouvons essayer illégalement. Je tente de calculer approximativement le temps nécessaire, supposant une première tentative ratée. Nous devrions franchir la sortie de nuit par les montagnes, parcourir la dizaine de kilomètres par des sentiers inconnus, sans carte. Si nous sommes refoulé au « Tadjik » nous rebrousserions chemin dans des conditions similaires pour ne pas être repérés ! Cette péripétie représenterait 2 nuits d’efforts intenses. Il faudra s’équiper en vivres, supporter les pluies imminentes, avancer dans l’obscurité et s’orienter à l’estime ! Je ne fais que me plaindre de fièvre, mes nausées intenses me font tourner la tête et rien ne s’arrange depuis les derniers jours. Je ne me sens pas de rebrousser chemin dans de telles conditions car rien ne nous confirme que nous soyons acceptés dans le pays voisin sans ce tampon kirghiz ! Mon rêve d’anarchiste s’éteint aussitôt. »

En un peu plus de 24h et une quinzaine de camions, nous arrivons à faire notre chemin vers la frontière. Nous sommes dans une région peu sûre et nous le savons. Il y a des enclaves, espèces d’îlots, de territoires ouzbeks en plein sur le territoire kirghize… Nous n’avons pas le droit de traverser ces zones et devons parfois nous cacher dans les camions pour ne pas nous faire voir par les militaires… Puis nous trouvons de moins en moins de trafic sure la route et avançons doucement. Quand le dernier van qui souhaite nous embarquer est en fait un taxi et qu’il nous dit qu’il va jusqu’à Isfara côté tadjik, nous cédons, et payons la modique somme de 10 €  pour arriver au Tadjikistan, enfin !

Carte de la région pour mieux comprendre

Carte de la région pour mieux comprendre

… et allez en prison !

Nous nous endormons dans ce dernier véhicule et nous réveillons quand nous réalisons progresser sur une piste bien cabossée. Nous nous regardons : où sommes-nous ? Le taxi finit par s’arrêter pour déposer une autre passagère.

Le chauffeur : – Voilà, c’est terminé, Isfara se situe à 2 km d’ici seulement.
Nous : – OK, mais, Isfara, c’est pas côté tadjik normalement ?
Lui :  – Si si, c’est bon, vous êtes bien arrivés au Tadjikistan !
Nous : – Et le poste frontière, on l’a pas passé ?!

Nous nous regardons, incrédules. Le type, habitué qu’il est à transporter des locaux qui n’ont pas l’air de passer tout le temps par les checkpoints frontaliers, nous a conduit à Isfara, comme prévu, par des pistes sans poste frontière ! Et nous voilà entrés illégalement au Tadjikistan !!! Heureusement l’homme nous conduit en arrière et nous lui faisons bien comprendre qu’il faut absolument qu’il passe par la frontière kirghize en premier pour avoir le tampon de sortie kirghize d’abord !!  Finalement, tout est bien qui finit bien : nous ré-entrons au Tadjikistan par la voie officielle, prenons nos tampons et continuons vers Isfara. Ouf !

Hospitalité tadjik

Ce même matin Brian a du mal à marcher à cause de la douleur, impossible pour lui de rouler à vélo. Nos efforts sur les sommets ces 10 derniers jours ont laissé des marques. Pour le reste nous avancerons en camion jusqu’à Doushanbé où nous avons une amie pour nous accueillir et nous reposer. Arrivés à la première grande ville, notre souhait est de trouver un camion qui veuille bien nous emmener jusqu’à la capitale, à 500 km de là. La nuit est en train de tomber, nous faisons du stop au bord de la route et un 4×4 s’arrête à notre niveau. A bord, Kamol, un jeune homme, semble donner d’innombrables coups de fil pour nous aider. Puis il nous passe un ami à lui au téléphone qui parle anglais qui nous explique que Kamol nous invite chez lui pour dormir. On nous assure que c’est comme ça le Tadjikistan, que c’est un honneur et un plaisir d’inviter des étrangers ! Et quelle invitation ! Nous suivons Kamol chez lui : nous souhaitons juste de l’eau pour nous laver et il nous emmène aux bains turcs ! La question de savoir si l’on a faim n’a pas d’importance puisque, de toutes façons, il avait déjà prévu de nous emmener déguster des « chachliks », ces brochettes de viande fraîche que l’on trouve en Asie centrale. Succulent ! Et tout ça pourquoi ? Pour avoir tendu le pouce au bord de la route… L’hospitalité tadjik commence bien en ce premier jour !

Portrait de notre ange-gardien Abdul-Karim

Portrait de notre ange-gardien Abdul-Karim

Le lendemain, nous revoilà au bord de la route et le premier camion nous embarque à 40 km, puis le suivant d’autant et encore un autre vers la route principale. Depuis la frontière, nous n’avons pas eu le temps de changer nos dollars en monnaie locale, nous n’avons rien du tout ! Dans chaque camion où l’on monte, on nous offre du pain, du yaourt ou du thé avec le sourire et il est difficile de refuser. Paraît-il qu’il faut refuser trois fois au Tadjikistan pour réellement refuser… Le dernier camion à nous prendre est celui d’Abdul-Karim, un grand gaillard adorable de 100 kg qui fait route jusqu’à la frontière afghane. Nous avons attendu moins de 2 min 30 s avant qu’il ne s’arrête ! Son impulsivité à s’arrêter à notre vue et son humeur du tonnerre avec laquelle il pose nos vélos dans son container nous mettent dans une bonne atmosphère très vite pour ce trajet qui s’avère long.

Nous passons au total 14 h dans le camion d’Abdul-Karim pour passer les montagnes nous menant vers Doushanbé. Nous lui avons expliqué que nous n’avons toujours rien, et lui insiste pour nous inviter à manger deux fois sur le trajet. Largement de quoi nous mettre mal à l’aise avec ce gars tellement généreux, tout comme son sourire…

Morgan : « Nous profitons de quelques arrêts ainsi que de la lumière rasante du soleil pour faire quelques portraits de d’Abdul-Karim. Puis, en fin de journée, nous passons devant un petit magasin de photos et je vois qu’il se gare tout excité. Nous comprenons vite et sommes allés faire développer les photos de lui. C’est pour nous une occasion rare de pouvoir offrir un tel présent à nos ange-gardiens. Nous sommes heureux ! »

Nous arrivons à Doushanbé à 2h du matin environ, bien ralentis par les contrôles de police qui s’apparentent plutôt à un racket des camionneurs et automobilistes qui circulent dans ce pays… Nous disons un au revoir rapide mais chaleureux à notre nouvel ami avant d’aller frapper à la porte de notre hôte. Véro nous offre quelque chose de rare et précieux dans ce voyage : le toit et surtout le sourire d’une amie qui vous veut du bien !

Vue de chez Véro à Doushanbé

Vue de chez Véro à Doushanbé

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