Derrida, l’amitié, l’aventure et le politique
J’ai toujours aimé lire un peu de philosophie de temps à autres. Pour moi, les concepts, c’est aussi amusant que de la bonne littérature ou un problème de maths à résoudre. C’est une des raisons qui m’ont poussé à écrire « Le prodige de l’amitié » chez Transboréal. Et dans les recherches effectuées pour ce premier essai, une lecture a été particulièrement marquante : celle de « Politiques de l’amitié », de Jacques Derrida. Il s’agit d’un de ces livres difficiles, dense et plein de nœuds à démêler. Je ne suis pas toujours un maso-lecteur, mais il est des livres qu’on aborde comme une grande montagne à grimper, et celui-ci en fait partie. Seule différence : on ne saura jamais si on est arrivé au bout. Mais l’important, c’est d’avoir voyagé, de s’être étonné et d’avoir grandi un peu.
Quoi qu’il en soit, Derrida avait compris quelque chose de magique de l’amitié : c’est une chose qui va au-delà du plaisir de partage, de la soirée à boire des coups, de la complainte enjointe des tristesses du monde moderne. Il nous dit qu’il existe une certaine amitié, centrale dans ce qu’on appelle le politique et que les Grecs avaient compris. A chaque fois que je parle de cela à des gens, ils s’étonnent : quel rapport ? Le monde contemporain nous habitue à voir le monde en individus atomisés, mais l’amitié est un penchant naturel qui nous rend enclins à l’union et, à force de dialogue et de construction, à l’action collective, catalysée par la force du nombre. Nest-ce pas là la définition de l’acte politique ?
L’amitié d’acte, c’est la folie après la bière qui devient tangible, à coups de « Et si on le faisait ? » et de « Pourquoi pas ? ». J’adore cette question : pourquoi pas ? On n’imagine pas la puissance de cette interrogation. Un.e ami.e qui dit « pourquoi pas », ça met en confiance et ça incite à créer ensemble. Une descente en radeau sur le Yukon, au hasard ! A l’ère des réseaux sociaux, le concept d’amitié tel que l’entendait Derrida semble s’effacer chaque jour un peu plus. Et pourtant, la lecture de ce gros livre bien touffu a fort contribué à mettre des mots sur un vécu aux 4 coins du monde avec les copains. Il aide à avoir confiance en l’avenir, construit de possibles à imaginer ensemble, maintenant.
Brian Mathé