Vers 6h30 ce matin nous accompagnons nos hôtes aux travaux de la ferme, observons Erlan, le mari de Pelizat, extraire la crème ambrée du lait de vache tandis que Talante remplis un seau métallique du liquide blanc si précieux en ces terres. Nous faisons nos adieux, leurs laissons les photos d’eux sur une carte SD et prenons une adresse postale de leur famille à Bishkek, la capitale, pour leur envoyer les photos imprimées.
Du 12 au 13 mai il a plu toute la nuit. Nous attendons que le crachin passe son chemin et ce n’est que vers 10h30 que nous levons le camp pour entamer une des journées les plus difficiles de ce voyage. La boue est partout et les pentes sont toujours aussi raides, dépassant régulièrement les 15% d’inclinaison. Lorsque nos roues ne glissent pas dans la boue elles récoltent des kilos de cette pâte collante. Sur certaines portions nous sommes obligés de pousser et de nous arrêter tous les cinq mètres pour enlever la boue qui bloque complètement nos roues.
La terre mouillée devient notre tortionnaire. Pousser nos vélos devient un enfer. Nos pieds glissent, nos chaussures amassent à leur tour des kilos de boue et nous nous transformons en de gros patauds en train de pousser un engin ressemblant vaguement à un vélo. Dans cette piste en lacets nous faisons du sur place. Brian, exténué comme les copains, tente même de couper à travers champs pour s’épargner des calvaires de la piste. L’effort est rude mais il gagne un peu de terrain et économise quelques kilos de gadoue.
Nous sommes à environ 2400 m d'altitude et la piste est à moitié ensevelie sous la neige. Nous comprenons mieux pourquoi les locaux nous affirmaient que notre plan initial était impossible. Au départ nous pensions passer un col à plus de 3000 m dans ces montagnes...
Ce jour là nous passons plusieurs cols, le plus haut à 2450 m et les descentes ne sont pas là pour nous faciliter la tâche. Nous roulons sur des œufs et les glissades n’en finissent pas. Nous prenons des risques et descendons vite malgré les conditions. Concentrés, un peu crispés, nous faisons notre maximum pour ne pas nous blesser. Dans une courbe à droite Morgan décroche de l’avant et s’étale devant les copains tandis que quelques minutes après Siphay se retrouve au sol dans une ligne droite tellement le terrain est vicieux.
Brian :"La route est mauvaise et glissante, ça en rend notre progressions d'autant plus fatigante. Les cailloux de la piste alimentent un stress permanent pour leur conséquences sur le matériel. Mais les chevaux galopent en liberté. L'air frais et pur de l'altitude me font relativiser : dans ces conditions miséreuses, nous sommes riches; dans ce désagrément, je suis heureux."
Cela fait plusieurs jours que nous avançons sans savoir combien de kilomètres il nous reste. Dans cette descente le village de Tolouk est visible, en bas dans la vallée et nous savons enfin où nous sommes sur la carte...
Ces 61 derniers km et 1300 m de dénivelé positif laisseront des traces. Nous y avons clairement laissé des plumes et vivons notre arrivée à Torkent comme une libération. 220 km hors du temps, dans une nature intacte et chez des hommes hospitaliers et généreux. Chez des nomades et des bergers vivant en harmonie avec leur monde et appréciant l’étranger comme un don du ciel.
Morgan note : "Nous sortons de plusieurs jours difficiles, mon visage est marqué par la fatigue. Mais un sourire ça ne coûte rien et ça apporte tellement. Je me demande alors pourquoi est-ce que les gens sont si bons avec nous, pourquoi nous accueillent-ils si bien ? Je crois que les rires et les sourires ont un rôle très important dans nos vies. La dérision, l'humour et l'enthousiasme général de notre équipe nous ouvrent en grand les portes de l'échange, de la confiance et de l'hospitalité. Souriez aux gens, ils vous le rendront."
Nous venons de quitter la piste et la boue pour rejoindre la route bitumée et les stations services qui font office de salle de bain.
En fin de journée nous faisons notre toilette et notre lessive 2 ou 3 km avant d'arriver en ville, enfilons une tenue propre et partons chercher un petit restaurant pour recharger nos corps fatigués.
Au-délà du plaisir de se faire servir, ces petits restaurants que nous pouvons nous offrir avec notre budget est surtout un moyen de rencontrer les locaux et échanger avec eux, observer leurs manières et leur mode de vie.
Après nous être réveillés à l’orée d’un champ en dehors de la ville, nous commençons notre ascension tranquillement vers notre premier col à 2339 m. Nous jouissons ensuite de cette descente dans un décor qui invite à la contemplation. Il nous reste 320 km avant le Tadjikistan.
Au-délà du plaisir de se faire servir, ces petits restaurants que nous pouvons nous offrir avec notre budget est surtout un moyen de rencontrer les locaux et échanger avec eux, observer leurs manières et leur mode de vie.
Nous détestons la pluie à vélo, mais le vent dans le dos a forcé. Ce matin nous partons vite avant qu’une averse trop grosse nous renvoie dans la tente avec nos bouquins à attendre l’accalmie. Tout le long de la montée, le temps est menaçant devant et derrière nous mais nous roulons au sec. Les dieux sont avec nous. La gravité, elle, joue aussi bien son rôle et nous grillons des calories à un bon rythme.
Siphay était parti devant pour réaliser une photo et Brian et Morgan commençaient à s'impatienter en bas. Du coup, une fois la photo prise, ils ont chopé un camion et rejoint Siphay en 5min...
Brian donne sa sensation : “Pour moi c’était un moment d’émotion. Arriver en haut d’une montagne est toujours un moment de grande satisfaction et je ne peux pas m’empêcher de penser que cela se termine bientôt, dans 3 mois. Ça en amplifie la saveur, grave le souvenir un peu plus profond : ces moments de discussion dans l’ascension, cette synergie de groupe qui pousse nos bécanes vers le haut, admi...See More
Quelques minutes plus tard, nous observons le serpent que semble former la route vue depuis le sommet à 3620 m d’altitude. Malgré le vent et la température juste au-dessus de zéro qui continue à descendre avec le soleil, nous restons plantés là une vingtaine de minutes.
C'est probablement la dernière fois que nous sommes aussi haut dans ce voyage...
Photo à longue exposition sur une vingtaine de minutes.
Nous passons la nuit à environ 3100 m près de Sary-Tash après s’être bien réchauffés dans un petit resto et dégusté une cuisse de poulet avec petits légumes après les 2350 m de dénivelé positif effectués ce jour. Nous nous endormons sous un ciel scintillant que la clarté d’une telle altitude nous rend d’autant plus magique. Le croissant de lune éclaire les montagnes du Tian Shan qui forment la frontière naturelle avec le Tadjikistan.
L'arrêt de bus du village.
Nous devons encore descendre une longue vallée avant de pouvoir passer la frontière. Le lendemain, nous admirons le pic Lénine qui culmine à 7134 m. La journée est assez pénible avec un fort vent de face qui remonte l’air chaud de la vallée vers les hauteurs. On ne peut pas gagner à tous les coups… Ajoutez à ça un Siphay fiévreux, un début de tendinite au genou pour Brian et quelques crevaisons, notre longue descente vers le paradis tadjik prend des allures de descente aux enfers, malgré le décor magnifique.
Dans certains pays, les gens font tout pour ne pas se faire photographier. Au Kirghizstan se sont bien souvent les locaux qui viennent nous voir en demandant si l'on peut leur tirer le portrait.
L'homme à la casquette bleu ciel, propriétaire des lieux, va même interrompre ses employés en pleine activité pour prendre la pause tous ensemble !
Contrairement à la Chine, où nous étions surpris de voir les femmes travailler avec les hommes sur les chantiers de construction, ici le ciment, la pelle et la truelle c'est une affaire d'hommes.
Des nausées et de la fièvre, Siphay a besoin d'un peu de repos. Les derniers kilomètres au Kirghizstan ne sont pas faciles...
Nous nous arrêtons à 30 km de la frontière seulement, espérant de meilleures conditions le lendemain. Dans la petite guinguette où nous faisons halte, un groupe de femmes, un peu âgées pour certaines, semble célébrer une occasion avec un repas copieux. Nous restons à notre table, un peu timides. Quelques minutes suffisent et les voilà qui viennent partager avec nous les restes de leurs plats, du pain et des cerises confites. Puis ces dames aux sourires pétillants mettent en marche la sono et nous invitent à danser ! Un peu exténués de notre journée, nous hésitons, puis finalement nous laissons prendre au jeu. Et nous voilà, la mine un peu fatiguée, à danser Gangnam style dans le fin fond du Kirghizstan ! Une trentaine de minutes à rigoler et à échanger puis ces femmes s’en vont dans leurs voiles et tenues traditionnelles.
Dix minutes après nous remettons ça avec une groupe de jeunes ! Puis, pour couronner cette soirée exceptionnelle, le gérant du restaurant nous invite à dormir avec lui, sa femme et ses enfants. Dans l’unique chambre de leur maison. Il est difficile de ne pas comprendre le plaisir que ces gens ont à nous inviter et nous acceptons leur offre avec le sourire. Encore un épisode de convivialité et d’hospitalité dans ce pays qui ne nous laissera pas de marbre !
Le Kirghizstan ne veut pas nous laisser partir. Déjà nous devions passer la frontière le jour précédent, ce matin une tempête fait rage. Nous attendons quelques heures qu’elle passe. Durant l’accalmie, nous décollons mais nous voyons une grosse pluie arriver de nouveau. Nous partons trouver refuge dans le village suivant où nous sommes invités à une partie de volley-ball par des jeunes kirghizes.
La pluie semble se calmer. Nous disons au revoir aux petits jeunes qui nous ont guidé jusqu'au terrain de volley et reprenons la route vers la frontière...
Comme beaucoup d'hommes, ils sont fièrement coiffés du chapeau traditionnel le "ak-kalpak".
Il ne protège pas vraiment du froid ni du soleil, mais il est à la mode pour certains.
Nous nous faisons refouler à la frontière ! Nous nous étions pourtant bien renseignés au consulat du Tadjikistan à Almaty, la personne nous avait assuré que ça passait. En fait, il s’avère que ça passe côté tadjik mais ça ne passe pas côté kirghize ! Un non-sens complet que les tadjiks ne précisent à personne… Malgré nos tentatives de négociations, il n’y a pas d’autre choix que de repartir vers Osh pour rentrer par un autre poste frontière à Isfara, situé à 600 km d’ici environ !
Lire le récit complet ici : http://solidream.net/deroutes-a-la-frontiere-tadjik/