Le bouquet final
Ces 1098 jours d’aventure nous ont fait voyager physiquement, d’un point A à un point… A. Mais le plus puissant des voyages est celui qui ne se compte pas en kilomètres, celui qui ne se compte pas tout simplement. Notre expérience collective au contact des habitants du monde nous a appris à vivre heureux, à apprécier les choses simples et voir la beauté là où nous ne la percevions pas avant. Notre arrivée au point A, ce 31 août 2013, a été le plus beau des bouquets final, le reflet le plus honnête de ce qui a rendu le projet Solidream aussi extraordinaire.
L’attente
La clé est là. Cachée sous le tapis. Brian ouvre la porte de chez sa sœur et nous le suivons à l’intérieur. Le silence d’un appartement vide contraste avec le feu qui nous anime. Le 29 août 2013 nous sommes à Lunel, à 25 km de la maison, 3 années jour pour jour après notre départ de Port Camargue. Ingrid nous a laissé un petit mot sur la table nous invitant à vider le frigo, ouvrir des bouteilles de vin et nous installer dans les lits plutôt que dans le jardin. Nous prenons vite nos marques dans une ambiance qui jongle avec les balles de l’enthousiasme, de l’excitation et du stress. Nous sommes dans l’attente… Le 31 nous partirons d’ici pour faire notre dernière étape jusqu’à la ligne d’arrivée. Ensemble nous voyageons dans le temps et reparlons de notre premier anniversaire célébré avec les gardes forestiers du « Parque Nacional da Amazônia » après 40 jours dans la jungle et notre second dans la ferme de Val et Richard, au nord de la Nouvelle-Zélande. Mais cette fois nous sommes que tous les 3 pour célébrer notre chiffre magique. Nous passons une courte nuit et entamons la plus longue journée du voyage. Un 30 août interminable. Censés préparer notre conférence du lendemain notre attention est portée sur d’autres questions. On part à quelle heure demain ? On passe par où ? Tu t’habilles comment ? On accroche un drapeau sur un des vélos ? Qui sera là ? Des surprises ? Des interrogations futiles suivies de réponse tout aussi inutiles mais qui nous rassurent. En fin d’après-midi, Etienne et Bertrand nous rejoignent, les vélos dans le coffre de la voiture, pour former pour la première fois depuis le début de l’aventure une équipe au complet. Nous sommes 5 pour boucler la boucle.
Bertrand : « Tu vas verser ta p’tite larme tu penses ? »
Morgan : « Je ne crois pas. Le jour du départ j’avais les larmes aux yeux car je savais que je quittais ceux que j’aime pour longtemps mais cette fois c’est différent. La seule chose qui aurait pu me faire craquer, c’est si ma sœur était venue de Nouvelle-Calédonie. »
Les préliminaires
Nous y voici, le jour J ! Cette date que nous avons imaginée des centaines de fois. Cet instant qui a nourri nos discussions du bout du monde et nous a parfois rassurés dans les moments de doutes. Ce point vient mettre fin à un chapitre important de nos vies, laissant la place à une page blanche qui donne libre cours à notre imagination et nos ambitions.
Il est 10h30 et nous enfourchons nos vélos, une fois de plus. Nous avons 4h pour faire 25km. En temps normal il ne nous faudrait guère plus d’une heure mais aujourd’hui nous voulons, plus que jamais, savourer chaque instant. Aller doucement. Nous arrêter. Laisser l’excitation nous envahir au fil des mètres. Nous sommes tous les 5 pour partager une des plus belles journées de nos vies respectives. Quel bonheur ! Jusqu’à la dernière minute nos roues vont arpenter le chemin des émotions. Nous roulons le plus doucement possible, sans efforts, bercés par un mistral favorable. Mais nos cœurs, eux, battent forts dans nos poitrines. BFM TV et France 3 nous suivent en voiture pour faire leur reportage et nous sommes ravis qu’ils immortalisent cet instant. Nous n’avons pas le courage de filmer nous-même tellement l’excitation prend le dessus sur la raison. Puis Siphay, décidé à rendre l’instant un peu plus inoubliable, sort de sa sacoche arrière droite une petite surprise. C’est une bouteille de champagne pour fêter le dernier kilomètre ! Sans s’arrêter, il nous sert des coupes de champagnes, nous nous accrochons aux bulles et repartons tous les 5 voyager dans nos souvenirs communs.
Siphay : « J’aime me déplacer à vélo, sans être fan de cyclisme, même après ces 54 000 km. Mais je pense avoir gardé en tête cette image, en noir et blanc, de quand j’étais gosse où des coureurs du Tour de France sur les Champs Élysée roulent avec leur coupe de champagne à la main. Depuis le temps que l’on tente de s’imaginer comment notre état d’esprit pourrait être ce mythique 31… Un jour j’avais annoncé la couleur en espérant que les gars oublient l’idée. Finalement cette surprise était plus que bienvenue pour moi aussi, pour calmer mon stress, mon ardeur et tous mes frissonnements que je ne pouvais contrôler.«
L’euphorie
Nous passons un premier rond-point où une quarantaine de personnes nous acclament, montent sur leurs vélos et nous suivent pour la dernière ligne droite. Certains courent tandis que d’autres pédalent. Ils nous accompagnent physiquement pour la première fois. Nos cœurs se serrent, nos gorges se nouent, nous parlons moins… Il reste 500m, nous apercevons la foule, les banderoles, les bras levés… le bruit des cornes de brume, des sifflets et des applaudissements qui sont de plus en plus forts.
Pause.
Que se passe-t-il dans nos têtes ? Si Brian revit l’ensemble de l’aventure en un éclair pour enfin réaliser le chemin parcouru, réaliser qu’il est là, prendre pleinement conscience de sa position, Siphay et Morgan, eux, sont envahis de frissons, gueulent, se lèvent sur les pédales avec les bras en l’air, ne contrôlent pas leurs pensées. Morgan reste muet sur les derniers mètres. Ils ne pensent pas, ils vivent le bouquet final des sensations, se laissent porter par la vagues des émotions.
Morgan : « À quelques mètres de la foule je ne reconnais personne. Mes yeux me trahissent. Je n’arrive pas à distinguer les visages. Je cherche mes parents mais je ne les trouve pas. Je roule doucement. Je me fais délicatement happer par la foule lorsque mon père arrive en courant à côté de moi. Il m’attrape le bras « Viens là, suis-moi ! ». Je ne comprends rien.
Je descends de mon vélo, fais demi-tour, et le suis. Le temps passe au ralenti mais je ne reconnais toujours personne. J’ai du mal à tenir mon vélo tellement je perds mes forces, ma lucidité. La foule s’écarte devant moi et la scène est floue ne laissant apparaître qu’une personne au bout du couloir humain. Elle porte un t-shirt noir avec le logo Solidream en rose. Je laisse tomber mon vélo. Je tremble. Mes yeux humides troublent ma vue de nouveau et je fais les quelques pas qui me séparent d’elle. C’est bien ma sœur ! Oui, ma sœur ! Elle me saute dans les bras et nos larmes fusionnent lorsque je l’embrasse. Je suis le plus heureux des hommes. »
Virginie est venue avec Guy, son mari, et leurs deux enfants, Yoan et Alizée, depuis la Nouvelle-Calédonie pour accueillir son frère. La surprise a fait son effet !
Le Partage
Accompagnés par plus de 400 personnes, nous marchons le dernier kilomètre pour rejoindre la salle des festivités. Nous ne voulions pas d’une arrivée trop brutale, nous souhaitions étaler cette euphorie dans la durée. Il était important pour nous de prendre le temps de partager cette dernière marche symbolique avec ceux qui nous soutiennent.
Un kilomètre plus loin et après un discours de M. Rosso, le président de la communauté de communes Terre de Camargue, et de M. Mourrut, le Maire, nous animons une conférence avec l’intention de répondre aux questions que se posent la plupart des gens qui suivent notre aventure. C’est la première fois que nous parlons de notre voyage au passé. Revoir nos images projetées sur le mur, relater les faits comme des actions bien terminées et entendre la foule réagir activement par des rires ou des applaudissements nous prend aux tripes.
Dans un billet précédent, nous expliquions à quel point le fait de revoir les personnes qui nous sont chères était important. Ce jour de fête est un condensé de retrouvailles familiales, cousinades, camaraderie et autres amitiés trop longtemps mises en pause. Si nous jouons la carte de la modération avec l’alcool, l’exaltation ne se maîtrise pas et déborde bien trop facilement.
Brian donne son sentiment : « En soirée, je ne suis généralement pas le dernier couché. Mais cette soirée est un enchaînement de réjouissances, une succession d’intenses tranches de bonheur qui se réduisent à un seul phénomène inépuisable : la retrouvaille physique tant attendue dans l’appréciation de l’altérité. C’est-à-dire le simple fait de se réjouir des qualités de l’autre pour ce qu’il est, une célébration complice de la redécouverte des individualités qui composent notre cercle personnel. Et pour cette raison, bien évidemment la soirée fut trop courte. Mais que dire, à part merci ? Merci d’être venus ? Oui, bien sûr. Mais surtout merci à la vie d’avoir fait que nos chemins se soient croisés et merci à cette fête d’exister pour qu’ils se recroisent de nouveau.«
Cela va sans dire que sans une organisation du tonnerre de tous ceux qui ont voulu faire de cette fête le magnifique événement qu’elle fut, ces moments magiques n’auraient pas existé. Remerciements donc à tous ceux qui ont contribué à faire que, même le dernier jour, notre voyage soit une aventure partagée, un périple inoubliable et exceptionnel.
Le soleil se levant sur Port Camargue restera, malgré la fatigue due à la redescente émotionnelle et à la nuit blanche, la dernière image forte de cette folle épopée imaginée il y a plus de cinq ans. Est-ce que ceci est la fin ? Pas encore trente ans et dans une forme olympique, nous pensons que vous avez déjà la réponse. Car plus qu’une aventure, Solidream s’inscrit dans un courant de pensée, un état d’esprit, celui de l’esprit d’aventure. Cette manière d’appréhender son quotidien et de prendre en main son destin n’est pas valable que dans le voyage et l’aventure. C’est une philosophie que l’on peut appliquer dans tous les domaines et qui doit nous encourager à vivre nos vies avec passion. Il conviendra à qui le voudra de l’entretenir dans son monde afin de rendre son existence palpitante. Bref, à faire de sa vie un rêve, et d’un rêve, une réalité.