Avant de prendre la route, nos hôtes à Douchanbé nous offrent une virée autour du barrage de Nurek, plus à l'est. Il est le plus haut barrage de remblais du monde et fournit 90% de l'électricité du Tadjikistan. En soirée, la lumière vespérale fait chanter les couleurs des montagnes environnantes.
Difficile de passer inaperçus avec les fat bike en bambou In'Bô dans les rues de Douchanbé. Déjà curieux de parler aux étrangers au hasard des croisements, les Tadjiks semblent être fascinés par l'artisanat français !
En attendant de réussir à "s'enregistrer" auprès des autorités et d'obtenir les autorisations nécessaires pour pouvoir filmer les initiatives locales, nous partons à la rencontre des artistes Tadjiks. Gulov Parvin Kukanshoevich partage avec nous sa passion de l'art et nous explique sa volonté de faire perdurer la culture tadjike à travers la poésie, la peinture, la sculpture ou encore la broderie. C'est avec fierté qu'il déroule son plus grand Suzani, tapis en coton brodé de soie, traditionnellement confectionné par les futures mariées et faisant office de dot le jour de la cérémonie.
Le départ, enfin ! Les vélos sont prêts, nous prenons la route dans quelques minutes jusqu'à fin août. Les vélos chargés font 50 kg sans nourriture et peu d'eau. Au programme : vallée reculée de Bartang, cols à 5000m, glaciers, pics majestueux du Pamir, rencontres avec une culture aux antipodes... L'excitation est grande, Solidream est de retour sur la route !
Après quatre jours, nous passons le col de Saghirdasht à 3252m. Nous passons ainsi la première porte vers le Pamir. Nous roulons désormais le long de la rivière Panj qui sépare le Tadjikistan à l'Afghanistan.
Le long de la rivière Panj, les Afghans montrent un autre visage du Badakhchan à seulement quelques dizaines de mètres du territoire tadjik. Les enfants font comprendre par des signes qu'ils souhaiteraient être rejoints à la nage, des femmes en niqab marchent en groupe, des hommes à moto et à cheval s'arrêtent par curiosité. C'est un autre peuple qui paraît si proche et si lointain à la fois.
À Pasor, dans la vallée de Bartang, Alejon, instituteur du village, nous accueille avec un « chaï » suivi d'un plat de viande d'agneau local. De quoi donner des forces pour un départ à pied de plusieurs jours vers le glacier Grum Grjimailo, à 4600m d'altitude.
Départ du village de Pasor à 5h30 pour atteindre le nord du lac Knafrazdara, atteignable en une dizaine d'heures de marche d'après les locaux. Là-haut, nous pouvons établir le camp de base pour l'ascension finale vers le glacier Grum Grjimailo.
Au milieu d'un cirque naturel de pics culminant à près de 6000m, c'est en simples tennis que nous cherchons notre voie en hauteur pour éviter les ruisseaux dissimulés sous la neige. Les avalanches, les chutes de glace et de pierres rappellent la vulnérabilité de l'homme dans un environnement de haute montagne.
Après plusieurs heures à évoluer dans la neige, les pieds trempés et le mauvais temps à nos trousses, le doute s'installe dans l'équipe. Le glacier Grum Grjimailo n'apparaît toujours pas. Faut-il rebrousser chemin ou persévérer encore jusqu'à la prochaine crête ? La seconde option tiendra bon et à 11h15, à plus de 4600m d'altitude, la vue de l'immense langue de glace vient récompenser 15h d'ascension.
Retour au camp de base à 3900m d'altitude dans la vallée de Khafrazdara, notre maison pour quelques jours de vie où la seule activité humaine visible est le sentier laissé par le troupeau d'un berger.
Abdu Akbar, 77 ans, ancien ingénieur mécanique, est le doyen de la famille Pamiri qui nous héberge à Pasor. Avec les autres anciens du village, il avait chaleureusement proposé ânes et hommes de soutien pour notre ascension. Tout en le remerciant de son attention, nous avons préféré l'autonomie.
De retour sur nos montures en bambou pour la remontée de la rivière Bartang. Plus nous progressons vers l'est, plus la vallée est sauvage, aride et hostile... Mais heureusement il existe encore quelques ponts plus vieux que nous pour faciliter notre route vers le soleil levant.
Les Pamiris, s'ils vivent parfois dans des endroits reculés, sont en général bien éduqués (au sens scolaire du terme). En anglais, Paichambé explique autour d'un « chaï » improvisé les spécificités de l'ismaélisme, un des quatre courants de l'Islam, pratiqué par son peuple. Il souligne la primauté de l'intellect sur le divin dans leur choix de vie et leurs coutumes.
Il est encore assez tôt dans l'été, la fonte des glaciers n'inonde pas encore totalement le fond de vallée. Dans un contre la montre relativement excitant, nous avançons tant bien que mal à travers les cours d'eau et dans les lits de rivières rocailleux qui seront très prochainement engloutis sous les eaux.
Accueillis dans les familles pamiris, le voyageur se délecte de lait de chèvre sous plusieurs formes, gras ou maigre, d'une soupe arrangée de quelques légumes, le tout complété d'un pain local tout juste sorti d'un four en terre ouvert au ciel.
L'avantage de voyager en fat bike : s'engager dans des pistes difficiles et ne pas s'en inquiéter outre mesure. Lorsque celle-ci est coupée par un cours d'eau, il s'agit de trouver la meilleure trajectoire pour sortir de l'ornière.
À la fin d'une route isolée où croiser un humain reste un événement notable, nous installons le bivouac dans la montée vers le plateau Pamiri. Une douce lueur lunaire éclaire la rivière Tanimas qui gonfle tranquillement avec la fonte des glaces estivale.
Le plateau, situé un peu en dessous de 4000m d'altitude, est gardée tous azimuts par des chaînes de montagnes révélées par un air sec et une visibilité pure. Parfois, un rare nuage vient perturber l'énergie ambiante et rétablit la notion d'échelle de l'impressionnant tableau.
Vers l'est du Tadjikistan les nomades kirghizes sont de plus en plus nombreux tandis que les tadjiks se font rares. Les frontières, tracées sous l'empire soviétique, ignorent les réalités du terrain. Éleveurs de yacks s'installent, en famille, sur le plateau pour la saison estivale. Au retour du froid, ils redescendent dans les vallées du Kirghizistan, de l'autre côté de la chaine de montagne Trans Alai.
3km d'une montée insensée offre, au prix d'efforts généreux, l'accès au plateau, à 3700m au dessus du niveau de la mer. « Le chasseur », traduction de son prénom pamiri, rencontré une semaine avant dans le village de Yapshorv, est installé dorénavant sur les hauteurs, à plus de 100 km de son foyer. Il veille sur son bétail comptant 70 têtes et, heureux de nous reconnaître, offre son hospitalité autour d'un thé chaud.
Arrivés au lac Karakul, après environ 800 km à vélo, nous repartons vers le sud pour entamer la seconde moitié de la boucle autour du Pamir. Nous roulerons deux jours sur l'axe principal en passant un col à 4600m, avant de bifurquer vers des endroits plus sauvages rendus accessibles grâce aux pneus extra larges.
Le village de Karakol accueille nos corps endoloris par de longues journées de piste et matraqués par un soleil cuisant. Les vélos en bambou, en plus de parfaitement assurer leur rôle, ne montrent aucun signe de fatigue et continuent d'intriguer les locaux pour notre plus grand plaisir.
À Murghab, ville située à 3680m d'altitude, on se demande combien de temps encore l'héritage soviétique (en particulier les vieilles Lada et autres camions Kamaz) côtoiera les mosquées sunnites des Kirghizes du Tadjikistan.
Les pneus larges agrandissent le champs des possibles en offrant l'opportunité d'évoluer en dehors des pistes et des sentiers. Les cadres en bambou, légers et solides, présentent une certaine souplesse qui absorbe une partie des vibrations et rend les heures de vélos plus confortables. Enfin, le choix de ne prendre que le strict minimum dans nos sacoches permet de grimper les plus hauts cols à une allure honnête et d'emmagasiner une généreuse dose d'adrénaline dans les descentes.
Le bouquetin pamiri est une des victimes des chasseurs venus de l'occident pour jouir du plaisir de tuer.
Nous atteignons l'observatoire Shorbulog, situé à 4400m d'altitude. Il semble inutilisé depuis l'ère soviétique. À l'intérieur, des relevés en nombre datant des années 1970, des livres « CCCP » (URSS) et de vieilles bouteilles de vodka témoignent du passé de l'endroit.
Le soleil est à son zénith lorsqu'une famille kirghize, installée à une trentaine de kilomètres de Murghab, nous invite dans sa modeste maison en pierre. Le père de famille s'attèle à construire un abri pour ses cinq yacks, victime des attaques de loups, tandis que la jeune "Ursuley" prend soin de sa petite soeur Maria âgée tout juste de trois mois.
Toujours dans l'idée d'explorer quelques recoins perdus des montagnes du Pamir, nous nous trouvons face à une difficulté que le fat bike ne peut pas pallier ! Il faudra une heure pour faire deux passages à gué pour récupérer le sentier 200m plus haut. Une personne assiste le porteur inquiet en cas de chute dans le courant.
Revenir à la vie « dehors » au moins de temps à autres sert de piqûre de rappel pour apprécier de nouveau les éléments naturels. La rivière donne à boire et de quoi cuisiner alors que les sommets inspirent l'équipe pour de nouvelles idées d'aventure. Rien besoin de plus pour réaffirmer l'état d'esprit d'un groupe déjà bien motivé.
La rivière Murgab, qui relie la ville éponyme au gigantesque lac Sarez, sculpte le fond de vallée au fil des ans et nourrie un tapis de verdure nécessaire au bétail des villageois. Pendant la saison estivale, les bouses de yacks sont récoltées, sèches au soleil, et seront un précieux combustibles avec le retour du froid.
Comme à l'accoutumée, nous conduisons nos escapades sans GPS. La technologie est utile mais efface quelque peu le plaisir de se concentrer sur les alentours pour reconnaître la topographie des lignes d'une bonne vieille carte papier. De plus, ce petit effort forme à une meilleure capacité d'orientation et augmente un peu plus la confiance de l'équipe.
La yourte, habitat de beaucoup de Kirghizes pendant l'été sur les hauteurs de l'est du Pamir, efface quelque peu la frontière entre le dedans et le dehors : en plus d'avoir un « toit » ouvert, les « murs » en treillis de bois et en feutre étendent l'ambiance sonore à l'extérieur. On peut ainsi « surveiller » de l'oreille le troupeau de yaks tout en se réunissant autour d'un thé.
Le soleil effleurant les cimes sonne l'heure de monter la tente près d'un point d'eau. Dans un coin sauvage, entre le village de Rangkul et la rivière Aksu, chacun s'affaire à sa tache dans une mécanique bien huilée après plus de trois années à voyager en équipe.
Chez les Kirghizes, la femme est souvent en retrait. Son rôle semble ne pas aller beaucoup plus loin que les besoins de la yourte dans bien des foyers et nous ne communiquons que très peu avec elles. En tant qu'hommes, c'est tout un monde qui est quasiment inaccessible.