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Le sommet afghan | Solidream - Rêves, Défis et Partage - Récits, films documentaires d'aventure
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Le sommet afghan

Dans « cohésion », en science, on entend « résultante des forces convergentes qui tendent à maintenir l’unité des parties d’un ensemble ». Lorsqu’on s’engage pour un tour du monde à vélo de trois années on apprend que les forces faiblissent proportionnellement à la distance de l’objectif. De ce constat naissent de nouveaux défis à court terme qui fédèrent l’équipe et consolide la progression vers l’objectif final. C’est ainsi qu’aux confins des montagnes du Pamir, toujours en quête d’artisanat, nous décidons de grimper un haut sommet situé sur la frontière afghane.

Il nous faut quitter la piste qui s’en va dans la réserve de Zorkul pour faire cap au sud vers le sommet qui nous inspire. Nos vélos en bambou nous portent tellement bien dans les descentes caillouteuses qu’on en viendrait à oublier tout l’équipement que l’on transporte. Les freins sont peu sollicités car les vélos se plaisent à rouler à plus de 50 km/h. Ils sont robustes mais souple à la fois, un régal ! Au loin, une trainée de fumée signale la présence d’un véhicule. Une pointe d’inquiétude, on dirait un véhicule militaire… espérons que nous ne sommes pas repérés… sans permis pour aller dans la réserve de Zorkul, ni l’autorisation d’approcher la frontière afghane, les ennuis pourraient prendre forme. Mais le ciel est avec nous, le 4×4 bifurque vers l’ouest et disparaît comme il est apparu.

Un camp de nomades kirghizes est installé le long de la rivière Ystyk pour la saison estivale. Ce cours d’eau parcourt des vallées secondaires, peu accessibles et sauvages, avant d’atteindre le village désolé de Tohktamish et plonger dans la rivière Murgab. Almaz, Adil et Saïtbek, les jeunes hommes sortis des yourtes, s’étonnent de voir trois autres nomades s’affairer à la toilette du soir dans une eau glacée. À chacun ses traditions, voici l’une des nôtre !
Adil s’impose tout de suite comme le leader (nous apprendrons plus tard qu’il est le second des trois frères). Il est assez froid, regarde avec insistance, parle peu mais de façon assez autoritaire. Ses deux frères paraissent plus sympathiques mais restent légèrement en retrait. Parfois, il est préférable d’être reçu de cette façon. Il y a une certaine sincérité dans cette distance qu’ils maintiennent avec l’étranger. Nous finirons par dormir avec les hommes de la famille tandis que les femmes occupent une seconde yourte.

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Adil et son cadet Almaz, à dos de yak, nous accompagnent jusqu’au pied de la montagne.

Le matin, Adil, du haut de ses 20 ans, annonce à son père son souhait de nous accompagner jusqu’au sommet. Peu rassuré de voir son fils s’embarquer dans ce projet, il s’y oppose mais l’autorise à aller jusqu’au pied de la montagne. Ni une, ni deux, son jeune frère Almaz part chercher un yak et les voilà tous les deux prêts. Adil, toujours très sûr de lui, affirme qu’on va voir des « Marco Polos ». Nous connaissons la rareté de ce mouflon endémique et acquiesçons sans pourtant y croire.

Pendant trois heures nous avançons vers l’Afghanistan. Seul Almaz est installé sur le Yak, il scrute la montagne, il cherche les Marco Polos pour nous. Le temps est gris, le vent frais. Siphay prête sa veste à notre guetteur qui se rafraichit sur sa bête. Les marmottes signalent notre présence et Almaz pointe le doigt vers l’est. Tout le monde s’arrête et Adil vise avec ses jumelles. Nous ne voyons rien, et pourtant ! Il y a bien un troupeau de ces robustes mouflons du Pamir qui galope vers les hauteurs. Cela fait plusieurs semaines que nous vivons dans ces montagnes et il suffit de marcher quelques heures avec ces jeunes pour apprendre à voir. Combien d’animaux nous ont observé ces dernières semaines tandis que nous pensions être seuls dans un désert d’altitude ?

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La marmotte, la lanceuse d’alerte du Pamir.

La voilà notre montagne. Adil et Almaz s’en vont, à deux sur leur yak. Brian part faire quelques photos tandis que les premières stratégies s’inventent :

« L’arrête à l’ouest paraît faisable et on est à l’abri du vent. » 

« Oui, mais par l’est ça paraît franchement moins raide. Par contre sur la fin on ne voit pas si ça passe… »  

Ce soir là Morgan écrit dans son journal :

On a plus qu’à espérer que la météo soit avec nous… Si le soleil est présent je pense qu’on devrait réussir sans trop de soucis. Notre tente est installée au pied de la montagne, sur un balcon naturel que nous avions repéré sur la face Nord-Est, à quelques centaines de mètres de l’Afghanistan. […] Il n’y a strictement rien à part des montagnes, des marmottes, des Marco Polos et quelques oiseaux. Aucune trace humaine, pas de frontière matérialisée par une barrière ou quoique ce soit. Donc niveau taliban, ou autres membres du Daesh, autant dire qu’on ne risque pas de les rencontrer ici.

Plusieurs chutes de pierres trahissent la présence d’un troupeau de Marco Polos à quelques mètres de la tente. Ils sont là, presque immobiles. Ils observent la tente, font quelques pas, s’immobilisent. Quelques cris d’oiseaux nous rappellent que nous ne sommes pas seuls à profiter du spectacle. Cela dure quinze minutes, peut-être vingt, mais suffisamment pour apaiser les doutes qui peuvent envahir les pensées de celui qui s’apprête à grimper plus haut qu’il n’ait jamais été.

Troupeau de marco polo, mouflons endémiques de la région du Pamir.

Il est 4h du matin. Le beurre de yak offert par nos amis kirghizes assure le petit déjeuner. Le ciel est malheureusement couvert mais il n’y a pas de vent. Quelques dattes, raisins et abricots secs dans les sacs et le départ est lancé.

Extrait du journal de Morgan :

On avance à un très bon rythme, on monte à environ 300mètres/h ce qui n’est pas mal étant donné l’altitude. Pendant l’ascension quelques-uns des mouflons viennent nous observer tandis que le temps commence à mal tourner. Il est 8h lorsqu’on s’approche sérieusement du sommet et la neige nous frappe à l’horizontale, poussée par un vent de sud-est. On avance sur la crête, on escalade, chacun très concentré sur ses prises mais aussi attelé à filmer ou faire des photos. Les appareils ont du mal à fonctionner avec le froid. L’idée de rebrousser chemin pourrait se justifier mais nous sommes si proches du but qu’atteindre le sommet semble inévitable. Aucun d’entre nous n’émet l’idée de faire demi-tour, chacun sait ce que pensent les autres. […] Avant d’atteindre le pic il y a deux passages difficiles. De chaque côté il y a le vide, on escalade la roche qui devient sérieusement glissante avec la neige qui tombe. […] Le sommet est beau, très vertical avec l’énorme rocher qui pointe vers le ciel. On reste moins de 5 minutes en haut, le temps de se réjouir, de filmer une scène, de faire une seule photo et de discuter du plan pour redescendre. On doit se dépêcher, nos pieds sont humides et la neige commence à dangereusement recouvrir les roches sur lesquelles nous choisissons méticuleusement nos prises.

[…] On hésite à descendre du côté afghan où la visibilité est meilleure, donc la voie plus sûre, est ensuite revenir du côté tadjik par la vallée. Il n’y a personne ici donc on ne risque rien. Mais finalement le brouillard se dissipe et nous filons côté tadjik par une voie différente de la montée. […] Il est environ 11h30 quand on se pose devant la tente pour finir le beurre de yack, pains et beignets. On est franchement heureux d’avoir réussi et on s’étonne d’être arrivés en haut si facilement. L’altitude ne nous affecte pas, mis à part qu’on est un peu plus essoufflés que d’habitude. Aucun mal de tête ou quoique ce soit.

De retour aux yourtes de la famille Maxudov, nos amis Kirghizes nous réchauffent avec un thé, du pain et du beurre. De quoi rendre heureux simplement. Kazakhbaï, le doyen, nous aide à préparer notre futur itinéraire vers Zorkul. La question qui reste en revanche sans réponse : sans permis, que ce passe-t-il si les militaires nous attrapent ?

Kazakhbaï , le doyen de la famille Maxudov.

 

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