La côte nord de la Turquie le long de la mer noire sera notre fil rouge pendant les trois quarts de notre itinéraire dans ce grand pays enchanté par les mosquées qui jalonnent le chemin.
Morgan : "Dans notre quête vers l'ouest, nous poursuivons le soleil. Comme s'il voyageait dans le ciel, comme si c'est lui qui fuyait. Il est le plus rapide et chaque soir il nous le rappelle. Et pourtant, dans le référentiel de nos scientifiques, il est bien le centre de notre système solaire. Il est statique tandis que nous avançons à grande vitesse autour de lui. Tout est question de référentiel et ce voyage nous le rappelle tous les jours.
Certains cherchent le bonheur au volant d'une belle voiture dernière génération, d'autres le trouvent au bord de la mer noire, poussant un vélo, face au soleil couchant. Personne n'a tord, personne n'a raison. Chacun vit dans son référentiel"
Nous sommes surpris par les prix élevés et retrouvons vite les habitudes laissées en Australie... Pain, bananes, chips, salami et un petit luxe : le Çokokrem. Un nutella local qui rivalise nettement avec son confrère européen par le goût et se rend abordable par le prix.
Nous sommes installés sur une plage en Turquie, à l’ombre d’un parasol, lorsque Birk débarque et nous dit tout naturellement « Salut les gars ! ». Il arrive des montagnes et commençait juste à longer la côte lorsqu’il a aperçu nos vélos posés contre la paillote en bord de route. Du haut de ses 23 ans ce gars là, discret et audacieux, vit une histoire qui mérite d’être partagée.
Birk, l’an dernier, a décidé de prendre une année sabbatique pour entrecouper ces études en anthropologie et sciences sociales d’une expérience concrète. Il décide de partir étudier 6 mois à Shanghai. Rien de spectaculaire jusque là me direz-vous. Sauf quand vous apprenez qu’il est parti de Suisse en vélo (quelques étapes en train et en avion tout de même) pour rejoindre la ville située à l’extrême est de la Chine, et quel vélo !? Jamais nous n’avions vu un voyageur avec si peu d’équipement (photo à l’appui). Tout est réduit au strict minimum, pas de matériel pour cuisiner, un tapi de sol de la taille de son buste et même pas le plaisir d’avoir un petit livre de poche…
Le bain quotidien dans la mer noire, un moment de grand plaisir après une journée de vélo sous la chaleur du soleil turc. Brian saute habillé pour commencer un rinçage de sueur de ses vêtements.
Nos camps du soir se font souvent sur la plage, presque à chaque fois en pleine ville. Les turcs nous disent tous qu'il n'y a aucun risque à camper n'importe où et nous constatons vite que les passants ne prêtent aucune attention à notre bivouac. C'est le luxe pour nous.
Cette femme fait descendre une corde de son balcon, son épicier lui amarre ses courses et elle remonte son chargement tranquillement. Si la première fois nous étions un peu surpris, nous avons vite pris l'habitude de voir cette scène au fil des villages.
La douche signe pour nous la fin de la journée, le début de la soirée où la sueur laisse place au repos mérité. Dès que nous décidons de nous arrêter quelque part nous sommes obsédés par la recherche d'eau courante où nous pourrons retrouver une allure présentable et le plaisir d'enfiler une tenue propre. Ici, c'est une nouvelle fois le grand luxe, les douches abondent sur toute la côte et nous savons en profiter.
Un nouveau bivouac où nous apprenons à mieux connaître Birk qui roulera une petite semaine avec nous.
Morgan : « La rencontre d’un jeune gars, humble et courageux, qui le plus naturellement du monde part à Shanghai à vélo pour quelques mois d’études nous rappelle que ce monde est jonché de personnes exceptionnelles. Tous les jours, autour de nous, autour de vous, il y a des gens avec des histoires qui méritent d’être écoutées. Il est bon de s’en souvenir et de s’intéresser aux autres pour dénicher ceux qui peuvent vous inspirer. Un bel exemple aussi pour tous ceux qui disent trop souvent ‘J’aimerais faire comme vous, mais je ne peux pas… ‘. Birk, lui, il ne dit pas des choses comme ça, il fait plutôt de sa vie un rêve, et d’un rêve, une réalité. »
Coucher de soleil à la sortie de la ville de Samsun. C'est l'heure pour nous d'aller dénicher un endroit pour dormir, pas si simple dans une ville de plus de 500 000 habitants.
« Quand on rencontre un homme, un sourire vaut trois parts de bonheur. » affirme l’écrivain français, d’origine chinoise, Gao Xingjian. Est-ce le voyage qui lui a transmis ce savoir ? Ou une fée qui lui a soufflé ces paroles par une belle nuit étoilée ?
Brian : "Après plusieurs années sur les routes, nous nous sommes habitués à vivre dehors. Au début, je ne m'y sentais pas forcément confortable. Mais maintenant, j'ai appris à apprécier tous les coins que nous trouvons pour dormir, manger, faire une pause... En fait, en vivant dehors, on est confrontés beaucoup plus fréquemment à un beau coucher de soleil ou à une heureuse rencontre, et l'esprit Solidream c'est ça pour moi."
Le relief s'accidente à mesure que nous progressons vers l'ouest. Parce que l’ancienne Constantinople ne se conquit pas sans efforts, pendant plusieurs jours nous affrontons des vents violents et une pluie fine qui fait patiner nos roues arrières dans les montées raides comme l’enfer. Nous peinons à avancer, enregistrons des journées à 60, 70 ou 90km et passons nos nuits sous une tente maltraitée par les intempéries… Mais heureusement pour nous il y a les descentes où notre folie prend le contrôle de la situation et rend nos journées tellement plus excitantes.
En plus du relief, voilà un vent terrible de face qui nous rend la tâche d'autant plus ardue et nous démoralise. Depuis Dushanbe, au Tadjikistan, voici bientôt un mois que nous roulons sans arrêts. Nous sommes clairement fatigués et rêvons d'Istanbul et du repos qui nous attend là bas. En attendant, la nature, en quelques battements d'ailes, nous encourage à avancer vers l'ouest.
Nous aimons ces pays où les gens vivent dehors. En Australie, après 17h, nous ne trouvions que des rues vides dans les petits villages que nous traversions. Tout l'intérêt de voyager s'évapore dans un village où les âmes sont enfermés derrière des murs de pierres.
Après la ville de Sinop la route devient terriblement difficile. Dans cette région les plaines sont des légendes, les routes plates n'existent que dans les contes pour enfants et l'horizon n'apparaît qu'aux yeux de ceux qui ont le courage de braver les montagnes pour rejoindre la mer. Dans ce décor on discerne tout de même quelques maisons et mosquées nous rappelant qu'il y a bien des hommes qui y vivent.
Le temps est menaçant et nous retrouvons au dilemme devenu classique : mieux vaut il avancer ou attendre ? Trouver un endroit où camper ou se réfugier dans un café ?
Le "çay" (thé), servi dans ces verres en tulipe, est la vraie religion des turcs. Véritable prétexte pour nouer des liens sociaux, il n'est pas arrivé un jour sans que l'on se fasse invité à le boire avec des locaux. Pire, nous avons même pris l'habitude d'en commander nous-même ! A l'inverse de beaucoup de pays qui importent le thé d'Asie, la Turquie produit son propre thé sur les hauteurs de la côte de la mer noire. Elle représente même 6% de la production mondiale de thé.
Un peu de gymnastique avant de reprendre la lecture du journal.
Le 6 juillet nous arrivons à Istanbul dans une euphorie que nous connaissons bien. Celle que nous vivons à chaque fois que nous rentrons dans le trafic anarchique, bruyant et dense de ces villes mythiques : Buenos Aires, La Paz, Bangkok… Nous roulons sur l’équivalent du périphérique parisien avec le stress mêlé à l’excitation qui éveille tous nos sens. C’est un combat contre la furie des automobilistes où nous n’avons pas le choix que d’esquiver les coups. La moindre erreur peut nous être fatale et nous le savons.
La mosquée bleue à Istanbul, comme tous les autres monuments et lieux de culte anciens, nous rappellent à quel point cette ville est chargée d'histoire. Elle est ainsi nommée pour les mosaïques bleues qui ornent les murs de son intérieur. Elle est le point de départ des caravanes de pèlerins musulmans vers La Mecque et reçoit le privilège islamique de présenter six minarets.
Si les manifestants font preuves de beaucoup d’humour dans leurs slogans et leurs caricatures, ils sont aussi très précis dans leurs revendications. Ainsi, à l’occasion du ramadan, ils souhaitent montrer au gouvernement qu’ils ne sont pas des ennemis de l’islam mais des opposants aux nouvelles réformes, lois et initiatives du gouvernement. Au coucher du soleil, ils effectuent la rupture du jeûne, tous assis dans la rue, formant une file de 600m. Le message est clair et pacifiste. Les forces de l’ordre, elles, guettent et sont prêts à frapper…
Portrait Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne.
C’est la radicalisation, l’amalgame entre la religion islamique et le gouvernement laïc, et la vision capitaliste que le gouvernement et son premier ministre Tayyip Erdogan affiche publiquement qui pousseront les gens à sortir dans les rues. L’interdiction d’acheter de l’alcool après 22h et la réduction du délai pendant lequel un avortement est autorisé viennent s’ajouter à des projets où les bénéfices financiers potentiels viennent écraser les notions culturelles, de bien être, d’écologie et d’esthétique : construire un grand centre commercial à la place d’un des rares parcs de la ville, le parc Taksim Gezi.
Par la suite, ce sont les violences policières face à des manifestants qualifiés de terroristes par le gouvernement qui verront naître une grande chaîne de solidarité. Nous sommes ébahis par l’organisation clandestine qui se met naturellement en place, par le pouvoir qu’octroient les réseaux sociaux pour mobiliser et coordonner ces gens qui ne se connaissent pas, l’entre-aide qui naît lorsque les hommes font face à un ennemi commun. De la nourriture est distribuée gratuitement par des volontaires tandis que d’autres vendent des masques à gaz, des concerts en plein air sont organisés et les restaurateurs abritent et cachent les manifestants poursuivis par les policiers, le gaz et les lances à eau.
La mosquée Selimiye à Edirne est classés au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 2011. Entourée des quatre plus hauts minarets du monde islamique, la mosquée de Selim II est surmontée d'un grand dôme. Autour de la mosquée se trouvent de nombreux bâtiments additionnels : bibliothèques, écoles, hospices, bains, salles de restauration pour les indigents, marchés, hôpitaux et un cimetière.
Nous quittons le monde de l'Islam à Edirne, à 10 km de la frontière bulgare. Cette magnifique mosquée marque la fin d'une longue étape depuis le Kazakhstan où presque tous les pays que nous avons traversé étaient à dominance musulmane. Nous entrons définitivement dans l'Europe et son changement culturel.