Un détour au Vietnam : sur les traces d’Hồ Chí Minh
Nous n’étions pas sûrs de vouloir y aller. Nous voulions sortir des sentiers battus et explorer des coins reculés du pays, sinon rien. Finalement, nous avons expérimenté une des semaines les plus intenses de notre voyage le long de la route Hồ Chí Minh.
Changement d’air
C’est un peu aller à la va-vite que de dire « Asie du sud-est » pour mettre dans un même paquet un ensemble de pays qui restent bien différents les uns des autres. Et au Vietnam, la règle n’a pas dérogé : on nous avait prévenu, mais l’ambiance est plus tendue qu’au Cambodge bien paisible. Pour faire tamponner nos passeports, les gens nous passent devant de manière franchement malpolie. Sur la route, les klaxons s’enchaînent les uns après les autres. Enfin, les gens semblent avoir perdu leur sourire. Nous vivons un peu mal cette arrivée pour laquelle nous avons payé un visa (trop) cher. Seuls les enfants sur le bord de la route nous remontent le moral en criant des « Hello ! » avec un grand sourire.
Changement d’air aussi pour le vélo. Désormais, nous évoluerons entre 400m et 1200m d’altitude dans un environnement vallonné. Nous n’avions pas évolué en montagne depuis l’Alaska, ça nous change pas mal. Aussi, événement rare pour être souligné : nous allons à l’hôtel (à 8€ pour nous 4) pour la 10ème fois seulement en 2 ans et demi de voyage. La raison : Etienne est malade et nous avons rendez-vous avec un journaliste de France Télévisions à 16h, heure française, soit 22h heure locale (plus d’infos à suivre à ce sujet). Difficile de trouver internet dans ces conditions. Etienne à peu près rétabli, nous entamons la route Hồ Chí Minh vers le nord depuis Pleiku et pour 650 km.
Rencontres exceptionnelles
Toutes les rencontres « Solidreamesques » sont exceptionnelles. Ce sont les gens qui font une bonne partie de nos meilleurs souvenirs. A l’image de cette famille le premier jour qui nous laisse poser nos hamacs dans son petit restaurant pour la nuit : les enfants tout curieux viennent jouer avec nous, puis le père prend part au jeu en faisant de la corde à sauter avec sa fille. C’est juste irréel : nous sommes là, dans les montagnes du Vietnam et les gens sont heureux de nous avoir avec eux pour un soir afin de partager un moment d’intimité familiale. Nous sommes de parfaits inconnus pour eux et nous ne parlons pas la même langue. Mais qu’importe, tout le monde se marre un bon coup. Finalement, nous ne sommes pas si mal au Vietnam.
Le lendemain nous nous faisons surprendre pour de bon. C’est la fin de la journée et, comme chaque jour, nous cherchons un bon plan pour dormir. A la sortie de la petite ville de Đắk Glei, un homme à côté d’un buffet de mets alléchants nous arrête. Il nous fait signe d’entrer chez lui et de s’installer à table. Il y a beaucoup de monde. Nous mettons du temps à comprendre. Au mur, une date avec le dessin d’un couple. C’est un anniversaire de mariage et nous sommes donc conviés à fêter la première semaine ensemble des mariés. Bon d’accord, tant mieux ! La table est chargée de plats qui rendent nos yeux plus gros que nos ventres : beignets de crevette, nems, riz gluant parfumé, nouilles en sauce, petits légumes frais et tous ces petits plats que l’on ne connaît pas mais qui passent tellement bien ! Ensuite, tout va très vite. Surtout les verres de bières qui défilent ! Le repas est un festin et, attablés avec les jeunes hommes, ils nous incitent à boire (beaucoup) trop… Avec le principe suivant : compter jusqu’à 3 en vietnamien et trinquer tous ensemble et boire, sous peine de réprimande, tout son verre cul-sec ! Nous finissons « ronds », comme on dirait chez nous, à essayer d’esquiver les cul-secs qu’ils n’auraient pas vu… Faut dire qu’après 105 km de montage nous étions déjà cuits avant le premier verre…
Eux : Vous dormez où ?
Nous : On n’en sait rien ! (avec le sourire du gars déjà bien attaqué)
L’un deux : Vous dormez chez moi, pas de soucis ! Je m’appelle Mérica.
Nous : OK merci c’est génial !
Deux heures plus tard, nous nous affalons dans nos duvets en racontant connerie sur connerie (ben oui, c’était une bonne soirée !), en plein milieu d’un entrepôt de menuiserie où bosse notre hôte, Mérica. Au départ cela ne nous gêne pas du tout, sauf quand, au milieu de la nuit, un camion débarque pour charger la quarantaine de poutres au milieu desquelles nous sommes installés… Complètement dans le coltard, en caleçon et toujours sous l’effet de l’alcool, nous déménageons tant bien que mal notre bâche pour s’installer au fond de la pièce et finir notre nuit…
Réveil avec fraîcheur
Le lendemain nous ne sommes pas fiers. Mais quand même très heureux d’avoir été invités à la fête ! Nos hôtes nous offrent un café vietnamien (le « meilleur du monde », dixit Brian, pas du tout expert en café d’ailleurs) et nous voilà à l’assaut d’un beau col à 1100m pour remettre les idées en place. Dans les pentes à 10% avec le vent de face, nous regretterions presque nos exploits de la veille. L’air se rafraîchit et les montagnards sont curieux de nous voir dans le coin. En fait, nous n’avons pas vu un seul endroit touristique sur cette route.
Brian explique : « Chez Hugues à Kampong Cham au Cambodge, j’ai feuilleté son guide du routard Vietnam. Rien n’était dit sur cette route. J’avais un peu peur qu’on n’y voit rien d’intéressant. Et finalement c’est une des routes les plus magnifiques que l’on ait eu la chance d’emprunter dans ce voyage. Habituellement, j’aime bien quand même feuilleter un peu les guides. Mais je disais l’autre fois aux copains, à moitié pour plaisanter : il faudrait peut-être acheter des guides pour aller aux endroits sur lesquels ils ne disent rien ! Peut-être que l’on pousse un peu loin le bouchon du ‘fais tout toi-même’ chez Solidream. Mais pour nous, c’est l’essence même de ce qui fait un voyage. Pour moi, c’est la différence entre un voyageur et un touriste. »
La route Hồ Chí Minh est relativement récente, bitumée récemment sur certaines portions. Elle suit plus ou moins la pistel du même nom qui s’étend jusque dans les terres du Cambodge et du Laos. C’était en fait un réseau de pistes utilisé par l’Armée populaire vietnamienne et les combattants du Front national de libération du Sud Viêt Nam (FNL, ou Viêt Cong) pour le ravitaillement en nourriture et en matériel des miliciens du Sud durant la guerre d’Indochine dans les années 1950. La route que nous avons empruntée longe la piste en territoire vietnamien. Elle passe par des vallées verdoyantes plus magnifiques les unes que les autres. Tantôt nous avons vue sur les terrasses de culture de riz vertes fluo, tantôt sur des vallées qui semblent vides de tout être, sauvages. Les paysans semblent loin de l’ambiance tendue des villes et nous regardent avec le sourire. Le parcours à vélo est un peu difficile mais est un pur plaisir : seuls au monde dans le calme des longues montées ou à se tirer la bourre amicalement dans les belles descentes tortueuses. En plus on mange de bonnes choses et pas cher. Bref, quasiment une semaine à rouler dans cet environnement génialissime nous a réconcilié avec le pays. A moins que…
Communisme, forcément…
La première chose que l’on voit au Vietnam, c’est l’étoile jaune du drapeau ainsi que le marteau et la faucille. Nous n’avons pas l’intention de donner un avis politique, mais il est bon d’en parler quand ça influe sur notre quotidien, comme au Vénézuela par exemple. Les dérives totalitaires du communisme, nous les avons expérimentées dans les faits : c’est le dernier jour et nous cherchons un endroit pour dormir avant de passer la frontière le lendemain. Une jeune fille nous interpelle et nous lui expliquons vouloir trouver un coin tranquille où dormir. Elle nous dit de venir : « Pas de soucis, dit-elle, l’air ravie. Vous pouvez venir chez moi !». Génial, donc, nous sommes invités ce soir, surtout que quelques gouttes commencent à tomber. Nous nous attablons et nous faisons offrir un thé. Quelques minutes plus tard, des policiers arrivent et s’installent à une autre table préparée vite fait par nos hôtes. Le climat devient bizarre mais on nous assure que tout va bien, que ce sont des amis et que, de toute façon, ce n’est que la police locale.
Mais nous avons vu venir le coup : ces messieurs, après être restés une bonne demi-heure à observer et à discuter avec nos hôtes, font venir une jeune femme parlant anglais d’une maison voisine. Par son intermédiaire, ils obtiennent les renseignement qu’ils cherchent sur nous : pourquoi nous sommes là, quel est notre voyage, vers où nous allons et relèvent tous les numéros possibles sur nos passeports.
Il est environ 22h lorsqu’ils nous disent de quitter les lieux. Nous tentons quand même de demander si nous pouvons passer la nuit sous leur toît… Le refus est catégorique, nous sommes même priés de partir au Laos tout de suite !
Morgan se souvient : « Quand j’ai vu les flics arriver, j’ai très vite compris que c’était pour nous. Qu’ils allaient nous emmerder. Mais quand j’ai fait part de mon inquiétude aux copains, ils ont réagi avec l’optimisme qui fait souvent notre réussite. « Arrête Morgan, ils font juste leur ronde du soir, ils ne nous veulent rien ». J’ai vécu 18 mois au Sénégal et là-bas j’ai appris à quel point l’Homme se sent pousser des ailes lorsqu’il a le pouvoir de l’uniforme. Je déteste toujours autant ces moments là, même si je suis conscient que nous devons rester polis et courtois jusqu’au bout. Ne surtout pas leur laisser la moindre occasion de nous accuser de quoi que ce soit… »
Nous ne jouons pas plus longtemps avec eux et nous mettons en route vers l’ouest fissa, dans la nuit noire, la pluie menaçant, en nous retournant sur le regard désolé de la gentille femme qui voulait nous accueillir. Elle n’a pas dit un mot depuis que les autorités sont arrivées. Nous repartons en jouant au chat et à la souris avec eux : les lascars prennent la même direction que nous, s’arrêtant quelques kilomètres plus loin pour vérifier que l’on prend bien la porte de sortie. Nous les passons avec inquiétude et nous planquons dans un terrain vague derrière une station service un peu plus loin. Il est déjà tard et nous montons un camp de fortune dans cet endroit relativement tranquille, assez éloigné de la route pour ne pas se faire repérer. Il n’y a pas d’arbres pour accrocher nos hamacs et nous n’avons pas de tentes. Nous nous construisons donc rapidement un abri avec nos bâches et s’assurons d’une nuit plus ou moins au sec. Enfin tranquilles !
Nous le savions, mais cela ne s’était pas encore vérifié dans les faits : il est interdit d’accueillir des étrangers chez soi au Vietnam. Bon nombre de personnes ne semblent pas le savoir, car c’est naturellement et avec enthousiasme qu’ils nous ont ouvert leur porte. Nous sommes écoeurés par de telles pratiques. Le lendemain, c’est malheureusement avec un goût amer que nous laissons ce pays derrière nous. Avec le recul, nous sommes presque contents d’avoir vécu cet aspect du pays, qui implique une méfiance envers l’étranger chez certains vietnamiens. Mais devant nous se trouve un autre pays et de nouvelles histoires : le Laos est juste de l’autre côté, alors Sabaï dee !