Menu
Au Kirghizstan, les assauts du ciel | Solidream - Rêves, Défis et Partage - Récits, films documentaires d'aventure
10032
post-template-default,single,single-post,postid-10032,single-format-standard,eltd-core-1.2.1,borderland-theme-ver-2.5,ajax_fade,page_not_loaded,smooth_scroll,side_menu_slide_with_content,width_470, vertical_menu_with_scroll,essb-8.5,wpb-js-composer js-comp-ver-6.9.0,vc_responsive

Au Kirghizstan, les assauts du ciel

Nous quittons les routes bitumées avec l’intention de couper à travers les montagnes pour rejoindre le sud du pays. Nous savons le pari risqué car en cette période de l’année les cols sont encore bien enneigés et certaines pistes impraticables. Mais après l’expérience inédite de Kyzyl–Oj, nous sommes d’autant plus motivés à sortir des sentiers battus. Nous roulons vers le petit village d’Aral situé une quinzaine de kilomètres plus au sud-est.

L’optimisme et la persévérance dessinent de nouvelles routes

IMGP5140 10 mai 2013, Aral. Après un petit déjeuner installés à l’abri d’une yourte, nous rencontrons trois villageois auxquels nous posons les questions indispensables. En nous appuyant sur les deux cartes imprimées que nous avons de la région, nous apprenons rapidement que le col que nous avons l’intention de passer, à 3184m, est impraticable. Ils nous font signe qu’il y a de la neige jusqu’aux épaules et qu’à cheval ça ne passe pas. Ils nous invitent à faire demi tour.

Morgan, s’adressant aux copains : « Si à cheval ça ne passe pas, on va pas aller loin avec nos vélos. »

Siphay, faisant référence au Koldama Pass à 3062m : « Et si jamais on arrive à passer ce premier col, le gars d’hier soir m’a bien dit que le second col est aussi infranchissable, de la neige jusqu’au cou. »

Brian : «  On ne va pas faire demi tour, il y a sûrement moyen de passer quand même. »

Tous les 3 penchés sur la carte nous constatons vite qu’il y a une rivière qui part vers le sud et qui bifurque ensuite vers l’ouest pour rejoindre la route bitumée au niveau de la ville de Torkent. Mais aucune de nos cartes n’indiquent de piste longeant cette rivière… Nous pensons que nous pouvons essayer de la suivre jusqu’à Torkent, il y a environ 150 km à vol d’oiseau. En suivant le cours d’eau nous sommes sûrs de ne pas rencontrer de cols enneigés, de ne pas nous perdre et de toujours avoir de l’eau à disposition. Nous soumettons donc l’idée aux trois hommes devenus nos mentors.

Dans un premier temps ils nous disent que ça ne passe pas et qu’il est préférable de faire demi tour et rejoindre l’asphalte. Nous insistons, expliquons que nous pouvons pousser nos vélos si la piste est trop rude. Après quelques minutes le plus costaud de l’équipe nous dit finalement que nous pouvons en effet suivre la rivière jusqu’à Torkent en nous faisant des signes que nous interprétons comme : « Vous allez en chier les gars ! ». Nous avons le sourire et savons tous les trois, sans se parler, que nous allons y aller. Il nous demande ensuite si nous avons une arme à feu pour nous défendre des loups. Notre réponse lui donne un air inquiet et sceptique.

Sur la piste inconnue

La piste inconnue

La piste inconnue

Le plus ancien des trois a bien compris que nous avons l’intention de partir le long de la rivière Kékemeren et décide de nous donner quelques informations. Nous écrivons phonétiquement le nom des villages que nous sommes censés traverser : Sarybalun, Urnuk, Kensu, Sarakamish, Tolouk et Torkent. Il nous dit qu’il y a 300 km de piste tandis que son compère affirme 200 km. Optimistes et au regard de notre carte nous décidons de croire le second, achetons des pâtes et des sardines pour 3 jours et filons sur cette piste qui n’existe sur aucune de nos cartes. Nous n’avons pas de GPS, pas de boussole ni de téléphone. A partir de là nous devons compter uniquement sur notre bon sens, notre endurance ainsi que sur les rencontres pour confirmer notre cap.

Nous faisons 77 km ce premier jour. La piste n’est pas trop raide et le soleil nous encourage. En fin d’après-midi, lorsque la lumière rasante offre les plus beaux contrastes, nous passons du temps à réaliser des clichés. Le spectacle est captivant lorsque les petites yourtes de nomades, parsemées sur le flanc des montagnes, se teintent de jaune puis d’orange. Les troupeaux de moutons, de chèvres ainsi que les superbes chevaux, là en liberté, interprètent ce jeu de lumière comme l’heure de rentrer au bercail, auprès de leur berger et à l’abri des loups qui rôdent.

Il est 18h et notre piste se sépare en deux : où devons-nous aller ? Quelle est la bonne décision à prendre ? Siphay part en éclaireur sur la piste de droite tandis que Morgan s’engage à gauche. Quelques minutes après, débriefing :

Siphay : « Ca grimpe dur et la piste ne semble pas très empruntée. Je pense qu’elle mène à un village situé dans les hauteurs. »

Morgan : « De mon côté la piste semble longer la rivière sur plusieurs kilomètres encore. »

La décision est prise, nous partons à gauche. C’est ce genre de situation que nous aimons et qui soude notre équipe. Ce soir là Morgan écrit dans son journal : « Pourquoi est-ce que je suis parti pour un tel voyage ? Pour prendre le contrôle de ma vie, tracer mon destin. »

Quand le ciel devient ton guide

Après une nuit perchés en haut d’une colline sous un ciel étoilé comme seules ces régions isolées savent offrir, loin des lumières artificielles, nous reprenons la route allégés d’1 kg de pâtes et de 3 boîtes de sardines. Nous grimpons plus de 1000 m de dénivelé en 22 km, plus de 3 heures d’effort et sommes accueillis au col par une tempête violente. L’orage gronde, la foudre illumine le ciel sombre et la grêle nous fouette le visage.

Morgan se souvient : « Je suis encore en chemise car l’effort de la montée m’a épargné du froid. Mais l’arrivée au sommet me replace vite dans le contexte. Le vent me glace le sang et la grêle m’oblige à me protéger le visage. J’enlève vite ma chemise trempée de sueur et enfile un pull sec ainsi que ma Gore-Tex. Je mets ma capuche et m’assieds derrière mon vélo pour m’abriter des assauts du ciel en attendant que les copains s’engagent dans la descente avec moi. »

Nous descendons, doublons un couple de nomades à cheval, emmitouflés dans de gros blousons fourrés à la laine de mouton. La femme porte un enfant que nous devinons par son bonnet dépassant du col de sa veste. Nous les saluons et ils nous confirment que nous sommes sur la bonne voie. Le prochain village est bien Sarakamish. A quelle distance ? Aucune idée.

Après 2 km de descente sous un ciel en colère nous apercevons deux maisons sur notre gauche. Nous n’hésitons pas longtemps et allons à la rencontre de leurs propriétaires pour demander l’abri. Un des chiens aboie, signalant notre présence aux 3 jeunes qui sortent rapidement de l’enclos dans lequel ils s’abritaient de l’averse. Ils viennent nous serrer la main, nous posent les questions désormais classiques et restent debout sous la pluie tandis que nous grelottons de froid.

Les jeunes bergers

Pelizat et son fils

Pelizat et son fils Ali

Après quelques minutes à nous scruter et nous interroger ils nous invitent à nous abriter dans l’étable avant de nous emmener à l’intérieur de la plus petite des deux maisons où l’unique femme de cette communauté de huit têtes s’occupe de trois bambins. Pelizat, au sourire permanent, nous prépare du thé chaud, nous sert du yaourt sucré et de la crème ambrée issus du lait de la ferme, nous régale d’un pain croustillant à l’extérieur et moelleux à l’intérieur et excite nos papilles avec du cassis cueillis dans la vallée. Le bonheur d’être parterre, assis autour de cette table ronde, entourés de ces jeunes bergers est difficile à traduire par des mots. Entre deux cuillerées, nous jouons avec Adil, Ali et Abdul-Aziz âgés de deux et trois ans. Leurs bouilles aux joues rougies par le contraste entre la température extérieure et la chaleur de l’unique pièce de la maison nous font bien marrer. Les enfants nous adoptent rapidement et le soleil refait surface.

Talante, un des gaillards de la bande, nous dit de ne pas repartir aujourd’hui. Il nous explique que nous pouvons rester dans la seconde maison avec lui est ses deux compères. Il nous montre le ciel, il veut nous dire que la météo est mauvaise dans la vallée que nous devons traverser. Nous acceptons son offre avec joie et sommes décidés à jouir de cette expérience exceptionnelle.

Nous troquons nos vélos contre leurs chevaux et passons une bonne demi-heure à rigoler, lorsqu’ils essaient de manœuvrer nos montures d’acier. Ils sont déterminés à réussir et les rires résonnent dans la montagne.
Puis, après la récréation, Jamchibeck et Jorobeck, arrivés en 4×4 une heure plus tôt, nous emmènent sur le flanc de la montagne exposé ouest, à environ quatre kilomètres de la maison. Nous sommes neuf dans la voiture et la bonne humeur bat son plein. Le véhicule s’arrête, tout le monde sort en direction des grandes étendues vertes. Nous les suivons. Ils nous expliquent comment trouver à manger dans ces montagnes, nous pointant du doigt les plantes que l’on peut manger. Nous cueillons ces racines au goût légèrement amer et nous asseyons tous ensemble sur les bords de cette arène naturelle. Face au soleil couchant nous croquons dans ces plantes fraîchement cueillies. Ces gars là, entre 21 et 28 ans, ne sont pas blasés par la beauté de leur environnement. Ils ont un réel plaisir à nous faire partager ces choses simples et élémentaires.

La ceuillette

La ceuillette

La nuit tombe et nous regagnons la chaleur du poêle. Pelizat a préparé le repas du soir et nous réchauffe d’une soupe garnie d’une petite pièce de moutons, de carottes et de verdure. En guise de digestifs nous aurons droit à quelques lampées de vodka. Eux ne boivent pas, ils expliquent que c’est uniquement pour nous, pour mieux dormir. Leur générosité est sincère. Vers 21h, à la frontale, nous descendons vers la maison de Talante, Assan Beck et Mirlan, nous allongeons tous les six au sol et plongeons dans nos rêves.

Vers 6h30, le lendemain, nous les accompagnons aux travaux de la ferme, observons Erlan, le mari de Pelizat, extraire la crème ambrée du lait de vache tandis que Talante remplis un seau métallique du liquide blanc si précieux en ces terres. Nous faisons nos adieux, leurs laissons les photos d’eux sur une carte SD et prenons une adresse postale de leur famille à Bishkek, la capitale, pour leur envoyer les photos imprimées. Ce jour là nous faisons 57 km en six heures et grimpons 1300 m de dénivelé. Les pentes sont parfois trop raides et nos vélos patinent. Nous devons descendre et pousser pendant de longues minutes. La difficulté est au rendez-vous mais ces jeunes bergers nous ont déjà récompensé de tous les efforts que nous allons devoir fournir pour sortir de ces montagnes.

Morgan écrit : « Il y a certains départs où l’on se sent un peu démuni. On aimerait pouvoir laisser un cadeau mais nous ne possédons pas grand chose. Depuis le Laos, je gardais une petite flûte en bambou dans mes sacoches pour une occasion spéciale. J’ai donc sauté sur celle-ci pour l’offrir au plus grand des trois enfants avec qui j’ai passé du temps à jouer dans la maison. J’avais des frissons lorsque j’entendais le son du petit instrument résonner dans les montagnes tandis que nous entamions notre premier kilomètre de la journée…« 

Le ciel devient notre bourreau

Du 12 au 13 mai il a plu toute la nuit. Nous attendons que le crachin passe son chemin et ce n’est que vers 10h30 que nous levons le camp pour entamer une des journées les plus difficiles de ce voyage. La boue est partout et les pentes sont toujours aussi raides, dépassant régulièrement les 15% d’inclinaison. Lorsque nos roues ne glissent pas dans la boue elles récoltent des kilos de cette pâte collante. Sur certaines portions nous sommes obligés de pousser et de nous arrêter tous les cinq mètres pour enlever la boue qui bloque complètement nos roues. La terre mouillée devient notre tortionnaire. Pousser nos vélos devient un enfer. Nos pieds glissent, nos chaussures amassent à leur tour des kilos de boue et nous nous transformons en de gros patauds en train de pousser un engin ressemblant vaguement à un vélo. Dans cette piste en lacets nous faisons du sur place. Brian, exténué comme les copains, tente même de couper à travers champs pour s’épargner des calvaires de la piste. L’effort est rude mais il gagne un peu de terrain et économise quelques kilos de gadoue.

Ce jour là nous passons plusieurs cols, le plus haut à 2450 m et les descentes ne sont pas là pour nous faciliter la tâche. Nous roulons sur des œufs et les glissades n’en finissent pas. Nous prenons des risques et descendons vite malgré les conditions. Concentrés, un peu crispés, nous faisons notre maximum pour ne pas nous blesser. Dans une courbe à droite Morgan décroche de l’avant et s’étale devant les copains tandis que quelques minutes après Siphay se retrouve au sol dans une ligne droite tellement le terrain est vicieux. Ces 61 km et 1300 m de dénivelé positif laisseront des traces. Nous y avons clairement laissé des plumes et vivons notre arrivée à Torkent comme une libération. 220 km hors du temps, dans une nature intacte et chez des Hommes hospitaliers et généreux. Chez des nomades et des bergers vivant en harmonie avec leur monde et appréciant l’étranger comme un don du ciel.

De retour sur l’asphalte nous reprenons l’axe principal en direction du Tadjikistan, avec un col à 3615 m à passer durant les mille prochains kilomètres nous menant à Dushanbe. Nous sommes physiquement déjà bien attaqués, et il nous reste pas mal de chemin…

Siphay raconte : « Enfin sorti de là ! Cette étape était physiquement et moralement éprouvante, mais elle nous laissera définitivement des souvenirs intenses et de belles leçons grâce aux dernières rencontres. Je me sens fatigué. Est-ce ma nutrition qui n’a pas été adaptée ?  Peu importe, nous devrions pouvoir abattre plus de distance désormais sur ce nouveau terrain de jeux. Une chose sûre est que je souhaite me poser, me relaxer de cette machine à pédales. Vite ! Avançons, passons la frontière pour arriver à Douchanbé chez Véro. Un peu de confort me fera un grand bien…« 

Tags:
Send this to a friend