Le calvaire ouzbek
En quittant notre amie Véro à Douchanbé au Tadjikistan, notre but était de profiter d’un de ces pays qui font la bonne réputation de l’Asie centrale. Les expériences avec les locaux ont été très bonnes, mais la difficulté dans la chaleur et la maladie ont prédominé sur cette étape bien pénible.
Retour dans le désert
La route depuis la capitale tadjik pour arriver à la frontière ressemble plus à un terrain de cross qu’à autre chose. Le matériel souffre et la poussière levée par un trafic assez important nous irrite les yeux. Une fois passés les postes de contrôles ouzbeks, nous voici sur une route correcte en direction de l’ouest et le Turkménistan en ligne de mire à 600 km d’ici. Premier fait notable : après deux semaines de pause forcée pour nos visas, l’été s’installe. Et dans ce climat sec et chaud, rouler en pleine journée est franchement éprouvant. On se croirait revenus dans le beau milieu de l’outback australien il y a quelques mois. Nous évitons de rouler aux heures chaudes, mais dès 9h du matin, il fait déjà 35°C. A la pause midi, nous enregistrons près de 42°C à l’ombre…
Une chaîne de montagnes se dresse sur notre chemin, et la montée vers le col à 1500 m est vraiment rude. A midi, un groupe de femmes nous invite à nous asseoir chez elle. Nous voyons qu’elles nous sortent déjà à manger et Morgan, prudent, demande le tarif. La bonne femme ne comprend pas au début puis nous regarde d’un air qui veut dire « Mais de quoi tu parles ? » et nous sert un excellent plat à base de riz, avec petite salade, yaourt et fruits. Elle nous fait comprendre qu’il n’y a rien à payer, bien sûr, c’est une invitation. En fait, ici, de nombreuses personnes essaient de nous inviter chez eux pour le thé ou pour manger. Si nous acceptions toutes ces offres, nous y serions encore ! L’Ouzbékistan semble être une grande famille et ce climat hospitalier est encourageant dans la lutte brûlante que nous menons.
Quand la maladie nous poursuit
Siphay n’est pas au mieux depuis Douchanbé et Brian est fiévreux. Pire, il enchaîne les allers-retours aux toilettes à base de 10 fois par jour maintenant et commence à se déshydrater de manière inquiétante. Les médicaments contre les infections intestinales et les diarrhées ne paraissent avoir absolument aucun effet. Pas grand monde ne décroche un mot dans l’équipe, les temps sont durs dans l’ascension.
Brian : « Comme à chaque fois que ça va mal, je m’enferme dans mon silence et essaie de penser positif. Je vois bien que l’ambiance est morne mais j’ai déjà assez à faire à contrôler mes boyaux. Les copains m’excuseront. En plus, la route joue avec nous en repoussant le col toujours plus loin derrière une nouvelle descente qui veut dire une nouvelle remontée. Le tout sur une route redevenue piste désastreuse où les camions nous en mettent plein la face. A midi, après une 4eme pause toilettes ce matin, la chaleur est intense, je me déshydrate clairement. J’ai extrêmement soif, mais pas du tout faim. Pourtant je n’ai rien mangé ce matin à part un morceau de pain. Je fonctionne au mental.
Enfin arrivés à ce foutu col, je me jette sur une source d’eau comme un mort de faim. Puis je me laisse descendre sans pédaler, je ne veux pas faire d’effort. Je rage ensuite et insulte la route qui présente une dernière grande côte, comme si elle pouvait s’excuser d’être ici celle-là… Cette journée est une des plus pénibles de ce voyage. »
Le lendemain, la condition de Brian ne s’est pas améliorée. Celle de Siphay non plus d’ailleurs, qui souffre de nausées. Après avoir passé la nuit sous l’espèce d’arrêt de bus au bord de la route, nous roulons les 50 km jusqu’à la première grande ville à jeun avant la grosse chaleur. Morgan tente de remonter le moral de l’équipe et d’engager des discussions mais c’est l’impasse.
A Qarshi, nous perdons une demi-journée à essayer de faire une déclaration à la police apparemment obligatoire pour les touristes avant d’apprendre que les voyageurs à vélo en sont exemptés… Nous tentons aussi, sans succès, de retirer des dollars… Psychologiquement l’équipe n’est franchement pas en forme. Choisir où manger devient une question épineuse et un sujet de tension… Après un petit repas et une sieste nous décidons de faire du stop jusqu’à Boukhara à 160 km d’ici. C’est à ce moment que Morgan décide de partir en solo, rendez-vous est pris à la frontière du Turkménistan, à 300 km d’ici, dans 2 jours au matin.
L’hôpital ouzbek, une expérience singulière
Nous arrivons à Boukhara après un trajet en camion avec deux chauffeurs très sympas qui nous déposent à l’intersection de la route pour le Turkménistan. Brian craque et paie un hôtel à $10, il a grand besoin de repos et d’une vraie douche, il est dans un état assez mauvais. Le lendemain matin, toujours pas au mieux, nous allons à l’hôpital pour des examens complémentaires puisque les médicaments ne font rien.
Brian raconte cette expérience : « Déjà, nous avons été amenés ici par un homme bien intentionné mais assez lourdingue dans sa manière d’aider : alors qu’il veut bien faire, il nous emmène à l’hôpital en entrant par le service maternité… Nous ne pouvons rien faire à part l’écouter expliquer des trucs en russe et nous taire. Passé cette étape, je parle enfin à quelqu’un qui baragouine quelques mots d’anglais et lui explique mon souci. Je suis mené vers ce qui semble être le service des urgences, mais je ne comprends rien à ce que me disent les médecins qui semblent plus intéressés par mon numéro de passeport et mon hôtel en ville que par ma santé. Et bien sûr, ils ne parlent que russe… On m’allonge dans une pièce et, sans mot dire, une infirmière se pointe avec 3 seringues et une perfusion. Dans ma tête, je me demande ‘Mais qu’EST-CE qu’ils vont me faire ?!’. J’appelle Siphay à la rescousse pour qu’il soit là si jamais ils m’injectent un truc bizarre. Finalement, on me fait les analyses usuelles et on ne trouve rien d’anormal dans mon sang et j’aurai droit à une perfusion pour me réhydrater, qui fait plutôt du bien. Après 4 heures dans cet hôpital, j’aurai donné mon passeport à peut-être 20 personnes différentes, vu 7 ou 8 médecins, rigolé avec les charmantes infirmières et pas payé un sou. Juste un mot à la fin pour me dire que tout est normal. Génial. »
Sortis de là, notre plan est d’aller à la frontière en camion car les médecins préconisent la diète et le repos. Nous devons y être demain matin pour rejoindre Morgan. Ça devrait le faire.
Viens faire un tour à la maison
Quatre heures après la perfusion, nous sommes en train de rouler en plein caniar. Pas le choix, ça fait 3 heures que l’on stoppe la plupart des camions, ça ne fonctionne pas. Les longs courriers sont sellés et ceux qui ont la place ne parcourent pas plus de 5 kilomètres. La condition de Brian se détériore donc assez vite et au bout de 45 km il faut s’arrêter. Siphay, lui, va mieux désormais. Brian, tel un vampire sur une poche de sang, se rue vers la source d’eau de la station-service du village.
Siphay raconte : « Demain, il faudra quitter le camp aux premiers rayons de soleil pour ainsi parcourir plus facilement les ultimes kilomètres ouzbèks. À la vue de Bridou, je suis effrayé, sa condition ne s’arrange pas, il se dessèche plus rapidement qu’il ne peut ingurgiter les litres d’eau ! Se faire inviter ce soir nous donnerait du confort et nous assurerait un emplacement sûr pour installer la ‘’palatka’’ (tente). Aussi nous aurions accès à de l’eau potable à volonté… Tout cela prend parfois un temps fou que je souhaiterais nous épargner et pour lui permettre de récupérer. Dès les premiers mètres en ville, je me persuade que nous devons être avenants avec les gens pour provoquer la chance. Bingo, avec Brian en monstre de foire, deux premières dames nous adressent la parole et n’hésitent pas à nous offrir un coup de pouce. Elles insistent pour prendre soin du malade. Alors que nous étions supposés les suivre, elles disparaissent au loin dans le village au volant de leur minuscule auto. La plupart des villageois nous saluent, un grand nombre font signe de nous arrêter. Convaincus que nos anges gardiennes patientent, nous roulons 10 km supplémentaire. Je dis donc au mort-vivant à pédale que l’on doit impérativement s’arrêter au plus vite où nous serons trop éloignés. Mais Brian vote neutre à toute prise de décision ! »
Puis, soudainement :
– Bonjour, les amis !
– Bonjour !
– Venez chez moi, des fruits, du pain de la viande beaucoup beaucoup il y a !
– Euh… Comment vous connaissez le français ?
– J’ai appris à l’université, venez chez moi pour dormir ! Je m’appelle Alicher.
– OK, nous c’est Siphay et Brian. Avec plaisir, nous vous suivons !
Et nous voilà, 10 minutes plus tard, assis sur les tapis où l’on mange, à attendre un repas de roi servi par la femme, la mère et la sœur d’Alicher. Brian essaie tant bien que mal de lutter contre le sommeil mais s’endort assez vite vu son état de fatigue alors que Siphay parle longuement avec toute la famille.
Siphay explique : « Il nous fait découvrir son livre d’or. Depuis 2007, suisses, irlandais et français sont passés par là. Ces quelques groupes de voyageurs lui ont laissé de chaleureux messages de remerciement. Un homme au sens de l’accueil à l’image de son pays. Il a du plaisir à nous parler de sa vie et nous apprécions l’écouter. Puis il sort une immense mappemonde qu’il déplie en demandant :
– Montres-moi, comment êtes-vous arrivés dans mon pays ?
Alicher est cultivé, il connaît la géographie et les recoins du globe que j’indique font pétiller ses yeux. Après 20 min, je m’aperçois que certains passages comme les 700 km de descente sur la Yukon River à bord de notre radeau maison lui parassent insensés. Je sors timidement mon ordi pour lui montrer nos images et nous passons encore de longues minutes à rêver ensemble… Je me dis que j’aimerais lui payer un billet d’avion pour la France et lui faire découvrir le monde de ses invités. Puis, dans la discussion, j’apprends qu’un diplomate suisse l’a déjà invité et qu’il a refusé de quitter son pays… Alicher est bien chez lui, dans son confort et ses habitudes. »
Nous arrivons vers 9h du matin à la frontière où Morgan nous attend déjà depuis la veille au soir. Brian se sent mieux, enfin ! C’est reparti pour de nouvelles aventures ensemble au Turkménistan que nous devrons traverser dans un temps record de 5 jours pour environ 1500 km. En vélo, c’est impossible, donc nous essaierons de prendre le train pour relier Turkmenbachy à l’extrême ouest du pays, au bord de la mer Caspienne, où un bateau sans aucune information nous emmènera vers l’Europe en Azerbaïdjan. Ca s’annonce épique !