Menu
Illégaux à 4000 m dans le Tibet oriental | Solidream - Rêves, Défis et Partage - Récits, films documentaires d'aventure
9698
post-template-default,single,single-post,postid-9698,single-format-standard,eltd-core-1.2.1,borderland-theme-ver-2.5,ajax_fade,page_not_loaded,smooth_scroll,side_menu_slide_with_content,width_470, vertical_menu_with_scroll,essb-8.5,wpb-js-composer js-comp-ver-6.9.0,vc_responsive
A vélo à 4000 m dans l'Himalaya

Illégaux à 4000 m dans le Tibet oriental

L’administration chinoise nous a donné du fil à retordre ces dernières semaines. Le moral a été bas lorsque nous avons réalisé que nous étions bloqués à Chengdu pour deux semaines. Mais notre détermination a eu raison de la bureaucratie.

Les règles sont-elles faites pour être transgressées ?

Quand on est originaire d’un pays libre comme la France, on hallucine sur les contraintes imposées aux habitants de la Chine. Par exemple, savez-vous qu’il y a deux types d’identité (système « huqou ») chinoise : une « rurale » et une « urbaine ». Cela fait qu’il est extrêmement difficile de venir s’installer en ville pour quelqu’un de la campagne. Une telle mesure est peut-être nécessaire pour contrôler un potentiel exode rural massif vers les villes, mais nous ça nous étonne. Et il en est de même pour tout plein de choses au pays de Mao. Nous, comme toujours, cherchons à mesurer les risques : sommes-nous vraiment obligés d’obéir aux règles quand elles nous semblent absurdes ? Quel est l’intérêt de bloquer des étrangers officiellement venus faire du tourisme ?

Au tout début de la prépation de ce voyage, c’était le Tibet qui nous intéressait particulièrement. Les règles imposées par Pékin sur cette région nous avaient découragés de tenter l’impossible en jouant au chat et à la souris avec les dizaines de contrôle de police sur la route de Lhasa. Des histoires de cyclistes voyageurs se faisant prendre s’étaient fait confisqué tout leur matériel et renvoyés du pays. Pour nous, c’était un trop gros risque à prendre étant donné le matériel vidéo et photo que nous transportons. Mais le rêve de faire du vélo en haute altitude en Chine était toujours là, et quand notre itinéraire de repli vers Lanzhou s’est vu lui aussi compromis, nous commencions à être un peu enragés. Après mûre réflexion et concertation, c’est donc bille en tête que nous partons pour une boucle de 800 km dans les montagnes qui constituent le début de la chaîne de l’Himalaya. Sans passeports sur nous, nous décidons quand même de partir pour un nouveau challenge en passant un col à 4000 m (3950 m pour être exact) dans la région du Sichuan. Et nous ne voulons même pas connaître les risques pour cette boucle, il y en a marre : nous nous disons qu’au pire nous risquons de nous faire renvoyer à Chengdu en cas de contrôle et prendrons une amende (ils ne peuvent pas nous virer du pays alors que nos passeports sont là-bas quand même !). Un choix culotté, c’est clair. Mais Montaigne n’a-t-il pas dit : « Ne pouvant régler les événements, je me règle moi-même » ? Voilà qui est dit.

Un challenge à la hauteur

Et c’est le cas de le dire ! A part lors de notre ascension du Mont Tom (la vidéo est ici) à 4163 m en Californie il y a un an, nous n’étions pas montés si haut depuis la Bolivie à quasiment 5000 m dans la région du Sud Lipez en juin 2011. En partance de Chengdu à 500 m d’altitude seulement, le dénivelé positif sur cette boucle était franchement ambitieux avec plus de 10 000m à grimper (d’après Google Maps). Nous nous donnons 8 jours pour accomplir cette distance et être de retour en ville à temps pour récupérer nos passeports et extensions de visa.

Notre boucle de 847 km au Sichuan et le profil d'élévation

Notre boucle de 847 km au Sichuan et le profil d’élévation

Si les 2 premiers jours sont assez monotones, à l’approche des montagnes le paysage se fait plus agréable, la circulation plus tranquille et le relief plus escarpé. Sur notre chemin, nous passons le village de Beichuan qui a été dévasté par le séisme de 2008 et qui a été transformé en parc d’attractions. C’est une vision bien curieuse de voir débarquer des bus de touristes dans cet amas de gravas, d’immeubles de traviole et de voitures ensevelies où officiellement 70 000 personnes ont trouvé la mort. Nous ne savons pas trop où nous mettre et restons quand même bouche bée. Nous prenons quelques clichés quand même car, bien que moralement douteux, cet endroit reste une curiosité.

Nous attaquons les jours suivants une ascension riche en événements. Nous rappelons que nous nous lavons tous les jours, ceci est devenu un rituel de bien-être chez Solidream et la douche froide ne nous fait plus vraiment peur (même si, faut pas rêver, nous ne crachons pas sur une douche chaude !). Aussi, lorsque nous arrivons dans un petit village pour enfin trouver à manger le 4ème jour, nous demandons de l’eau pour nous laver, même si nous ne nous comprenons pas très bien avec les chinois parfois. Ce jour-là, nous avons aussi un peu de lessive à faire et, après la douche à la gourde dans un champ, nous devons aussi nous rincer les pieds pleins de terre. Alors pourquoi nous racontons tout ça ? Et bien parce que le gentil couple qui tient le restaurant où nous avons mangé (beaucoup, cela va sans dire) a fini par nous inviter à dormir chez eux après le repas ! Et nous pensons que cela n’est pas complètement un hasard. Morgan donne son avis :

« Depuis que nous avons quitté la France nous respectons cette règle officieuse de se laver chaque soir, avant de manger puis de se coucher. Les raisons sont multiples : le bien être d’enfiler une tenue propre après une journée dans la sueur, conserver son drap et duvet propres avant la prochaine lessive et aussi parce que nous vivons dans notre micro- communauté où le respect de l’autre passe aussi par là. Il nous est arrivé quelquesfois de demander à nos hôtes pourquoi est-ce qu’ils acceptaient d’inviter chez eux 3 ou 4 personnes qu’ils ne connaissent pas et qu’ils viennent juste de rencontrer dans la rue. La réponse a souvent intégré « parce que vous paraissez propres et soignés ». Ce soir-là, une fois de plus, nous avons provoqué l’hospitalité en venant nous présenter dans ce restaurant propres et correctement habillés. Je crois que ce petit effort quotidien, qui parfois nous fait un peu claquer des dents, est souvent interprété comme une forme de respect par nos hôtes. Une leçon de plus que le voyage nous dicte. »

Le vieux Tibet

Portrait de trois femmes du Tibet oriental

Portrait de trois femmes du Tibet oriental

Si vous avez suivi jusque là, nous sommes toujours sans passeports et à 300 km de Chengdu. Nous évoluons dans la préfecture d’Aba, une préfecture autonome et tibétaine du Sichuan, qui s’inscrit dans ce qu’on appelle le « vieux Tibet » ou bien le « Tibet oriental ». C’est une région où la culture est pour ainsi dire identique à celle du Tibet proprement dit mais qui n’est pas le Tibet lui-même. Au fur et à mesure que nous montons, les villages se font de plus en plus espacés et nous sommes déjà à quasiment 2000 m d’altitude. L’accoutrement des gens change et nous sentons la différence de culture. Nous ne savons pas vraiment si cette région est interdite aux étrangers, comme pas mal d’endroits peuvent l’être en Chine. Et comme nous croisons pas mal de bureaux de police sur la route, nous arborons nos plus beaux sourires à leur rencontre, en espérant qu’il ne leur passe pas par la tête de nous demander nos papiers… Et puis vient la vision d’une barrière avec des militaires de l’autre côté du bureau de contrôle. Brian raconte :

« Depuis que nous sommes partis de Chengdu, je plaisante à moitié faussement sur un éventuel contrôle de nos papiers. Là c’est le gros coup de stress.  Nous sommes à mi-chemin de la boucle et je n’ai absolument pas envie de retourner sur nos pas, nous raterions le meilleur. Arrivés au niveau de la barrière, nous voulons la jouer touriste naïf. Puis je constate que les deux gardes sont de dos à l’intérieur, en train de regarder la TV. Nous mettons un coup de sonnette de vélo, pas de réponse. Je regarde Siphay, qui pense comme moi : ‘Les gars, on passe, on passe !’. Pas le temps d’hésiter dans ces cas là, nous couchons tous nos vélos et passons sous la barrière. Nous avons fait à peine 20 m et, derrière nous, nous n’avions pas vu mais une voiture arrive et klaxonne un gros coup pour alerter les gardes qui lui ouvrent la barrière. Merde ! Nous continuons comme si de rien n’était. Pas de gyrophares, pas de garde en vue, rien. Je jubile. Nous sommes passés. Je ne sais pas s’ils nous auraient contrôlé. En même temps, je me dis qu’ils n’étaient peut-être pas là pour rien… Mais je ne préfère pas savoir ! « 

Nos recherches après coup nous indiquent qu’il y a de bonnes chances pour qu’au moins une partie de cette région soit risquée pour nous (voir cet article par Géo)… Mais nous avons du mal à savoir si toute la région est concernée ou non.

Au sommet

La tente sous la neige au petit matin

La tente sous la neige au petit matin

La veille du sommet, nous sommes à 3150 m et montons la tente près d’un troupeau de yaks après avoir pris une des douches les plus froides du voyage dans un cours d’eau et sous des flocons de neige. Siphay s’est fait charger par l’un deux en prenant une photo trop près mais a réussi à se planquer derrière un arbre ! Nous avons mal géré notre approvisionnement en nourriture et n’avons que des cacahuètes, chips et biscuits à manger ce soir. C’est la première fois du voyage que cela nous arrive, mais nous ferons avec. Mais malgré ces conditions difficiles, nous sommes ravis d’être là où nous sommes : dans le calme de la montagne au milieu de la nature, les klaxons de camions sont partis et le bruit des flocons sur la toile de la tente est notre ambiance du soir. Nous partons au dodo au chaud  dans nos duvets tout neufs (merci à www.kite-tek.com pour son soutien).

Le lendemain, nous faisons la route jusqu’au sommet en 2h30 pour couvrir les 800 m de dénivelé restants et en profitons pour immortaliser ces instants de vélo sous la neige, les conditions ne s’étant pas vraiment améliorées… Au sommet, nous prenons la pause sous les loungtas, ces drapeaux de prière colorés typiques des régions de l’Himalaya, malgré nos extrémités engourdies par le froid. Le rêve est réalisé : nous sommes avec nos vélos en haut d’une montagne de l’Himalaya à 4000m d’altitude. Dans nos têtes, nous faisons la nique à tout ce foutoir administratif qui a bien failli nous faire rater cet instant. La vue n’est pas parfaite, mais qu’importe, nous sommes au sommet. Pas seulement le sommet de notre itinéraire, mais aussi celui d’un cheminenent de pensée en phase avec nos valeurs : celui de croire à un rêve et de persévérer pour le réaliser. Ce sont de longs mois d’interrogations et quelques derniers jours stressants que nous avons passé. Maintenant la pression redescend, et la route aussi d’ailleurs. Tant mieux !

Au sommet à 4000 m

Au sommet à 4000 m

L’euphorie

C’est en 2 jours que nous faisons le trajet jusqu’à Chengdu, soit 415 km. Bien aidés par la descente, certes, mais avec un fort vent de face tout le long, nous débarquons en ville le lendemain soir de notre passage du col dans une euphorie générale. Nous avons parcouru 847km en 6 jours avec un col à 4000m sur le chemin. Pour nous, le boulot est fait et nous voulons aller profiter un peu de la vie en ville de nouveau et, tant qu’à faire, éviter de passer trop de temps hors de la ville et se faire attraper par les autorités. Pour couronner le tout, un mail du consulat nous informe que nos passeports sont là en avance et que nous pouvons les récupérer. Génial ! Ils auraient pu arriver le 18 avril, ce qui nous aurait mis franchement dans de beaux draps… Nous fêtons cela avec Maxime et Gordon, deux des gars du consulat, très sympas, qui nous font découvrir quelques endroits branchés de cette ville de 14 millions d’habitants. Nous nous disons que nous l’avons bien méritée notre bière quand même !

Dimanche, après une nuit de fête, nous partons à la police et récupérons nos anciens passeports où nos visas sont prolongés jusqu’au 26 avril… Les bonnes nouvelles s’enchaînent, mais pas pour bien longtemps… De là nous filons à la gare pour acheter nos billets de train pour Urumqi, dans le nord-ouest de la Chine, où nous devons faire faire nos visas pour le Kazakhstan. Nous ne pouvions pas les acheter avant car il nous fallait nos passeports. La réponse de la femme au guichet est nette et non négociable : plus de place pour Urumqi avant le 23 avril ! Nos visas expirent le 26 et il nous faut une semaine pour obtenir nos visa Kazak ! Face à l’administration nous avons gagné une bataille mais pas la guerre semble-t-il. Nous mettons maintenant tout en oeuvre pour trouver une solution alternative sachant que : en stop cela nous prendrait beaucoup trop de temps (3000 km), en bus il y a 4 changements et cela prend plus ou moins 4 jours si chaque bus a de la place pour 3 gars avec 3 vélos, impossible de louer une voiture sans permis chinois, l’avion nous coûterait bien trop cher…

Send this to a friend